Radieuse journée d’été à Genève. À 13 h 38, ce 16 juin 2021, Joe Biden et Vladimir Poutine se sont pour la première fois serré la main devant l’entrée de la Villa La Grange. Les perspectives du sommet sont peu prometteuses. Mais la tenue en soi de la rencontre est déjà saluée comme un premier succès. À l’issue de presque quatre heures de réunion, les deux présidents, au-delà d’innombrables mises en garde mutuelles, reconnaissent le côté «positif» des échanges. Poutine se réjouit de la décision de rétablir mutuellement les ambassadeurs dans les deux capitales, tandis que Biden souligne que le «ton [des entretiens] était bon», ajoutant, solennel: «La dernière chose que veut Poutine aujourd’hui, c’est une guerre froide.» Monumentale méprise. La guerre, Poutine la veut. Il l’a engagée contre l’Ukraine il y a exactement un an, le 24 février 2022. Elle sera incandescente et destructrice. Quelles leçons peut-on en tirer après douze mois d’affrontements, sans relâche, et des dizaines de milliers de morts, sans trêve en vue?
Le plus fort n’est pas toujours le plus gros ou celui que l’on croit. Au Kremlin comme dans les pays désormais alliés, on s’attendait à ce que Kiev tombe en quelques jours. La force de frappe de la Russie était largement surestimée et la capacité de résistance de l’Ukraine sous-estimée. L’aide des pays occidentaux en chars, armes, munitions… se chiffre en dizaine de milliards permettant d’équilibrer les forces entre le géant et le lilliputien. L’alliance occidentale a tenu et l’issue de la guerre se trouve, pour l’essentiel, entre ses mains.
Les sanctions contre la Russie ont moins d’impact que prévu. Alors que le FMI prévoyait une baisse du PIB russe de 8,5%, elle s’est limitée à 2,1%. Même constat pour l’Europe et les États-Unis. Les circuits énergétiques, notamment, ont été reconfigurés à une vitesse défiant toute attente.
Il suffit d’un conflit entre deux États au cœur de l’Europe pour bouleverser l’ensemble des relations stratégiques mondiales. L’unité occidentale derrière l’Ukraine a donné un nouveau souffle à l’OTAN. La Hongrie et la Pologne, à l’autoritarisme gênant, ont retrouvé leur respectabilité au sein de l’UE. La Chine a regagné en puissance, se profilant en arbitre entre Washington et Moscou, pour qui Pékin ne cache pas son faible. Au Sud, des géants comme l’Inde ou le Brésil et bien d’autres jouent leur propre partition en renforçant leurs relations avec la Russie, sans pour autant se ranger derrière elle. L’Afrique, dotée d’immenses ressources, est plus que jamais l’objet de toutes les convoitises. L’Europe en récession laisse progressivement Russes et Chinois face à face. Les changements sont loin d’avoir sédimenté. Et la visibilité est nulle.
L’homme, en l’occurrence les soldats russes, est plus bestial que jamais, infligeant aux civils des traitements inhumains qui, dans l’attente des innombrables enquêtes en cours, ressemblent à des crimes de guerre. Des exactions menées par des soldats ukrainiens contre l’ennemi sont également documentées. Si le degré de civilisation de notre époque est mesuré à cette aune, on ne constate pas le moindre progrès.
La guerre touche des pays tiers au plus profond de leur identité. C’est le cas de la Suisse, dont la neutralité montre ses limites. Incomprise à l’extérieur, disputée à l’intérieur, la neutralité suisse devra passer en examen devant le peuple. Et même au pays de l’extrême stabilité, toute prédiction se montre hasardeuse.
Enfin, leçon générale d’une évidence consternante: l’imprévisibilité et la désinformation se combinent aujourd’hui en un cocktail hautement inflammable qui fait le bonheur des plastiqueurs de la démocratie.
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Chronique – Cinq leçons pour un an de guerre