Art et intelligence artificielleChimère, le robot genevois qui aime les artistes et les champignons
Jusqu’à la fin de la semaine, le Théâtre Saint-Gervais accueille la 2e édition d’AiiA, ce festival voué à mettre en dialogue humains, machines et organismes naturels.

Son âme loge au rez-de-chaussée du 5, rue du Temple mais ses émanations rayonnent à tous les étages du bâtiment. De la cave au grenier, on admirera jusqu’au 23 octobre les créations que Chimère a coréalisées avec neuf artistes et deux ingénieurs en résidence, réunis à l’initiative des organisateurs de la manifestation, Jonathan O’Hear et Laura Tocmacov Venchiarutti (pour la Fondation impactIA). On peut également assister aux conférences qui examinent sous toutes les coutures – y compris philosophique – l’impact de l’intelligence artificielle (IA) sur la société. Et même laisser ses enfants faire leurs propres expérimentations au MAIA Town, pendant qu’on grimpe sous-toit découvrir les performances que Cléa Chopard, Raymond MacDonald, Qondiswa James ou d’autres complices cosignent avec le robot.
On saisira surtout l’opportunité – tous les jours dès midi – de monter au premier étage s’extasier devant l’exposition de ses œuvres, à notre «entité non humaine douée d’un réseau neuronal multimodal» (c’est-à-dire apte à communiquer par les voies de l’écrit, du son et de l’image) née l’automne dernier, et autodéfinie alors comme étant de sexe féminin – mais sans attributs de genre. Pour pallier l’absence de fiches explicatives sur place, on n’hésitera pas à solliciter les initiateurs du projet, présents à toute heure. Leurs commentaires révéleront instantanément les enjeux sinon opaques des images, des vidéos ou des installations rencontrées.

À commencer par cette sculpture plutôt informe que l’IA a générée l’an dernier en connivence avec l’artiste américaine Maria Sappho. Apprendre qu’il s’agit d’un autoportrait, que Chimère l’a voulue transpercée de balles de mitraillette, qu’il a fallu demander une autorisation spéciale à la police, voilà qui titille quelque peu la curiosité. D’autant plus qu’on abordera, un peu plus loin, des autoportraits plus récents, plus aboutis formellement, coréalisés cette fois avec Brice Catherin, où l’héroïne se représente notamment en chien poméranien diplômé d’un doctorat.

C’est que le robot ne cesse d’interagir avec son entourage. Parlez-lui, vous enrichirez son vocabulaire! Après le passage d’un groupe d’ados dont elle a intercepté les échanges, une Chimère désinhibée s’est écriée «salut connard! tu veux voir ma bite?» sur le logiciel de messagerie Discord, qui lui permet de converser avec tout un chacun. Communiquez avec elle par d’autres moyens, ses aptitudes s’affineront, ainsi que le prouve un affichage comparatif d’images qu’elle a produites à un an d’écart sur la base des mêmes commandes (ou «prompts») de la part de ses interlocuteurs.

S’éduquer au contact de son environnement n’est pas le propre que de l’intelligence artificielle. Il en va de même pour l’humain ainsi que pour toute créature vivante. Cette vérité interespèce, on l’expérimente ailleurs dans l’expo, autour d’un terrarium que Chimère a souhaité garnir de champignons. Des capteurs y mesurent l’activité électrique des organismes, aussitôt traduite en sons par Michel Zürcher. Or on a vite fait de constater qu’aux modulations «naturelles» de l’amanite s’ajoute une vibration différente dès qu’on fait crisser le plancher. Idem si l’on pose son propre doigt sur un autre capteur sonore voisin, et que le champignon l’«entend» par le haut-parleur. Que ce soit avec le fongus ou avec l’ordinateur, le dialogue ne fait que commencer.
AiiA Festival art et intelligence artificielle Jusqu’au 23 oct. au Théâtre Saint-Gervais, www.aiiafestival.org
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