Vente aux enchèresChartreuse: une liqueur mythique sous le marteau de Baghera/wines
Des centaines de bouteilles seront vendues en live streaming depuis Genève, les 4 et 5 mars. Mais pas que…

En 1869, le «Guide pratique du distillateur» relevait que la Chartreuse était, «de toutes les liqueurs, celle qui a donné lieu au plus grand nombre de contrefaçons». Forçant alors à l’élaboration de bouteilles spéciales dont l’étiquette arborerait dorénavant le cachet «Liqueur fabriquée à la Grande Chartreuse», accompagné de la signature de Dom Louis Garnier. En témoignent quantité de flacons dispersés par Baghera/wines les 4 et 5 mars prochains dès 13 h à Genève, en live streaming. Il s’agit de sa troisième vente Kipling. Intitulée «Once upon a time… Chartreuse», elle rassemble 437 lots issus d’une même collection privée française.
«La Chartreuse, déferlante verte et jaune, rassemble. Par la finesse de l’élixir, le mystère qui entoure sa formule, sa création mais également la transmission des secrets de fabrication à l’origine, relatent d’une seule voix Michael Ganne et Julie Carpentier, fondateurs de la maison d’enchères. Jamais liqueur n’aura suscité tant de curiosité et sentiments contrastés. Cette sublime collection de Chartreuses en tout genre couvre des périodes aussi reculées que le milieu du XIXe siècle jusqu’à nos jours. À l’instar de ces deux précieuses bouteilles de Chartreuse 1840-1852, l’une supposée jaune, l’autre supposée blanche, rares témoins des tout premiers flacons produits par les Pères Chartreux. Des pépites, une rareté, un rêve.»
La Chartreuse «blanche» évoquée ici est estimée entre 20’000 et 40’000 francs. C’est l’un des lots phares. Tout comme cette paire de bouteilles de Chartreuse jaune et verte «Couronnement de la reine Elizabeth II» en coffret d’origine, distillée en 1953 (16’000-32’000 francs), ou encore cette Chartreuse verte «Une Tarragone», de 1921-1929 (6000-12’000 francs). Sachant que le 6 mars, dès 14 h, suivra une vente online réunissant des goodies en relation avec l’univers de la mythique liqueur. Tels que des mignonnettes, des cartes à jouer, des tasses, des sacs ou ce coffret complet de pétanque assorti d’une bouteille.
Élixir de «longue vie»
Il est vrai que l’histoire de la Chartreuse est digne d’un roman. Son origine remonte à l’an 1084, lorsque le moine Bruno et ses six compagnons de l’Ordre des Chartreux s’implantèrent dans le «Désert de Chartreuse», non loin de Chambéry, pour y ériger un ermitage où s’écoulerait une vie en autosuffisance, dans le silence et la prière. En 1257, appelés par le roi de France, Saint Louis, ils fondent un monastère à Vauvert, près de Paris. Un lieu cerclé de jardins et de pépinières, qui force leur intérêt pour la pharmacopée. Au point qu’ils élaborent des élixirs de jouvence appelés eaux-de-vie. Ils suivent ainsi le chemin tracé par le médecin et théologien Arnaud de Villeneuve ayant présenté un médicament similaire, obtenu après distillation de vin.
«Cet élixir est toujours commercialisé et sa formule, contenant plus de 130 plantes, est la même qu’à l’époque. Seuls trois moines en connaissent le secret.»
Mais l’histoire de la Chartreuse ne démarre véritablement qu’en 1605. Cette année-là, les moines de Vauvert reçoivent un mystérieux manuscrit du duc d’Estrées, contenant une liste de plantes et des indications pour élaborer un élixir de «longue vie». Mais la juste formule leur échappera durant de longues années. Ce, malgré la construction d’une apothicairerie en 1614. Il faudra attendre le passage à Paris de Dom Michel Brunier de Larnage, qui, découvrant le manuscrit, le fera transférer à la Grande Chartreuse lorsqu’il deviendra général de l’Ordre en 1737.
C’est là qu’à force d’études et d’essais deux frères développent une formule de couleur rouge. Et c’est leur successeur, Frère Jérôme Maubec, qui en 1755 parviendra à la recette tant convoitée. Ce remède verdâtre à 71 degrés d’alcool qui deviendra le fameux «élixir végétal de la Grande Chartreuse» et dont la composition sera consignée dans un manuscrit jalousement tenu à l’abri des regards. Cet élixir est toujours commercialisé et sa formule, contenant plus de 130 plantes, est la même qu’à l’époque. Seuls trois moines en connaissent le secret.
Plébiscité par les soldats
Pourtant, que d’épreuves traversées depuis le XVIIIe siècle! Une avalanche, huit incendies, la peste et la Révolution française, pour commencer. Livré à dos d’ânes, le breuvage avait commencé à être vendu sur les marchés de la région. Et voilà que les moines de tous les monastères de France sont chassés hors du royaume. Dès lors, le manuscrit passera de mains en mains. Il ne sera récupéré qu’en 1835, en échange d’une forte somme d’argent. Entre-temps, les moines auront regagné leur monastère (dévasté) et commencé à proposer d’autres assemblages, dont un qui permit de lutter contre la terrible épidémie de choléra qui sévit en Europe en 1932.
Commercialisées sous le nom de «Chartreuse» dès 1840, les liqueurs rencontrent un franc succès. Notamment grâce aux soldats présents dans le massif qui, en amateurs conquis, se chargent d’en faire la publicité. Ainsi viendront les contrefaçons, suivies du dépôt de marque en 1852 par le fameux Dom Louis Garnier. Depuis, Élixir, Chartreuse Verte et sa version plus douce, la Chartreuse Jaune, cohabitent.
Rejoints plus tard par d’autres déclinaisons, pour la plupart lancées après la Libération en 1945. Dont la mythique liqueur VEP (Vieillissement Exceptionnel Prolongé). La production ne fut d’ailleurs jamais interrompue, malgré cette expulsion ordonnée par l’État en 1903 et qui obligea la distillerie à se replier à Tarragone, en Espagne, durant quelques années. Alors, prêts à miser?
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