Nouvelle scène Rive droiteCaecilia: renaissance d’un joyau architectural
Depuis quelques jours, les Genevois peuvent jouir d’un spectacle dans le spectacle en allant rue Carteret applaudir tant des reprises théâtrales que leur écrin de toute beauté.

Certains de nos aînés se souviennent peut-être du temps où l’on y écoutait la chorale de la paroisse de Saint-Antoine de Padoue. Sinon, rares sont les Genevois à avoir jamais franchi le seuil de la Salle Caecilia, angle rues Schaub et Carteret, dont l’enseigne en lettres Art nouveau fait pourtant lever la tête des badauds. Depuis une trentaine d’années, les seules personnes qui ont eu la chance de circuler entre ses murs sont les metteurs en scène, comédiens et techniciens invités à y répéter les créations de la Comédie, jusqu’à ce qu’elle quitte le boulevard des Philosophes.

À un jet de pierre de l’église catholique dont il dépend, le bâtiment de la cure, tout en ogives néogothiques, fut construit huit ans après celle-ci, en 1906, selon les plans de l’architecte Henri Garcin. En plus d’une salle de spectacle fermée à la fin des années 30, Caecilia comprend une demi-douzaine d’appartements. Avec son cadre de scène et son balcon en pierre sculptée, ses trappes et ses verrières, ses surfaces et ses recoins patinés, le théâtre en est indubitablement le fleuron.

Association d’artistes
À la veille de l’ouverture de la nouvelle Comédie, dotée de salles de répétition in situ, son directeur technique, Yves Fröhle, notamment, s’inquiète du sort réservé désormais à Caecilia. Plutôt que finir en entrepôt, il fallait que l’espace continue de profiter aux compagnies indépendantes. C’est alors que le metteur en scène et comédien genevois Valentin Rossier, son confrère Georges Guerreiro et la cinéaste Elena Hazanov créent l’association Artistes Associés en 2020, en vue de sauvegarder le joyau.

Quel lien particulier le trio entretient-il avec ce lieu classé? «J’y avais répété avec Claude Stratz au millénaire dernier, avant d’y monter moi-même deux pièces à l’époque où la Comédie prêtait la salle», se souvient Valentin, directeur de New Helvetic Shakespeare Company. «Pareil pour moi, témoigne Georges, à la tête de la Compagnie Baraka, et je voulais éviter à tout prix qu’elle soit laissée à l’abandon, surtout dans une ville qui manque si cruellement de lieux de répétition.» Quant à Elena, elle est tombée amoureuse du cadre décati en y tournant «La panne» de Friedrich Dürrenmatt, début 2019, dans une mise en scène de Rossier. Sa mère, par ailleurs, enseigne le jeu à de jeunes russophones et francophones dans le cadre du Théâtre Crescendo, et cherchait un toit – qu’elle aura à raison d’un week-end sur deux.

Le bâtiment appartenant à la paroisse de Saint-Antoine de Padoue (représentée par son président de conseil, Thierry Jacquier), nul besoin pour les Artistes Associés de se soumettre à un quelconque concours pour prétendre à son administration. Il suffisait de se montrer solvable auprès de la régie privée qui en a la gestion, et de proposer un projet viable. En juin 2021, la jeune association signait ainsi un premier bail renouvelable de cinq ans.
«Je voulais éviter à tout prix que la salle soit laissée à l’abandon, surtout dans une ville qui manque cruellement de lieux de répétition.»
Pour remettre la salle en état, il a d’abord fallu réaliser des travaux, qui se sont prolongés jusqu’en novembre de la même année. Budgétés à 100’000 francs, ils ont été pris en charge par la Ville de Genève, la Loterie Romande et une fondation privée. Un site internet a également été conçu, avec calendrier (bien rempli) et tarifs transparents. «Nous fonctionnons comme Airbnb, sans passe-droits. Mais c’est sûr qu’on va se dépêcher de réserver nos places», sourit Valentin Rossier au nom de son camarade comme du sien. Au nombre des compagnies professionnelles inscrites, on trouve entre autres la STT de Dorian Rossel, les Métamorphoses d’Elidan Arzoni, Où sommes-nous de Jacques Michel, ou la Confiture de Philippe Cohen.

Afin de pratiquer des tarifs de location alignés sur ceux de la fédération MottattoM, non loin, les complices ont établi un partenariat avec la Ville, qui compense les coûts à hauteur de 25’000 francs annuels – sur un loyer mensuel de 4000 fr. à la charge des responsables. «Nous ne sommes pas un théâtre subventionné, soulignent les associés, mais un lieu autonome et autogéré, qui ne demande rien au Département de la culture s’il décide d’accueillir des reprises.»

Or, l’idée d’«ouvrir le sarcophage pour que le public voie ça» s’est rapidement imposée. Surtout qu’elle sert aussi le principe de la «durabilité des spectacles» chère aux professionnels comme à leur public. C’est ainsi qu’a germé l’«événement» annuel intitulé «Hiver à Caecilia», une plateforme de diffusion sur six semaines environ destinée à donner une nouvelle vie à de petites formes peu gourmandes en moyens. Et qui sait, un jour peut-être, à des projections de film aussi. Avant qu’en février les répétitions ne reprennent à l’abri des regards.
Hiver à Caecilia Avec «Trahisons» jusqu’au 28 jan., «Troisième nuit de Walpurgis: Karl Kraus» du 31 jan. au 4 fév. et «Poussette» du 7 au 18 fév., rue Antoine-Carteret 23, www.scenecaecilia.ch
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