Manuels hybrides«Ça, c’est du cachalot de compet’!»
C’est tendance, les éditeurs unissent scientifiques pointus et artistes farfelus pour apprivoiser le savoir. Ainsi d’une nouvelle collection chez Actes Sud.

Plus que jamais, Les scientifiques veulent partager leurs expériences. Toujours plus audibles, les plus jeunes militent pour l’écologie… de quoi donner des idées aux éditeurs soucieux de conquérir de nouveaux territoires. «Si nous voulons montrer que nous ne sommes pas dans notre tour d’ivoire, nous devons donner des signaux en publiant des ouvrages illustrés et non intimidants », affirme ainsi dans Livres Hebdo, Blandine Genthon, directrice de CNRS Éditions.
Philippe Charlier, successeur de l’explorateur Jean Malaurie à la tête de la collection «Terre Humaine » aux éditions Plon, pionnier historique de ce type de publication vulgarisatrice, confirme cette nécessaire ouverture: «Les sciences humaines et sociales ne doivent rien s’interdire, y compris des formats hybrides, pour permettre des approches plus accessibles et complémentaires».
À la suite de Dargaud, La Découverte ou du Seuil, la maison Actes Sud lance «Mondes graphiques». Le label ne compte encore que deux titres mais dégage déjà un charme fou. Associant autour d’un animal un scientifique de terrain à un artiste, les points de vue s’hybrident dans un ping-pong musclé entre fantaisie qui se raisonne et données factuelles qui donnent le vertige. Le choc des approches désacralise aussi le statut d’expert dans chaque domaine.

C’est l’occasion de plonger dans la plus proche intimité entretenue par les chercheurs avec l’objet de leur passion, d’éveiller même des vocations, d’initier à la patience indispensable. L’apport artistique, indiscutable arme de séduction, ouvre lui sur la chorégraphie complexe du plaisir et de l’érudition, ce pas de deux à l’équilibre fragile. Car ces bougres d’animaux ont souvent tendance à s’échapper derrière la ligne de l’horizon et pourtant, impossible ici de recourir aux petits trucs habituels. Avec un biologiste comme partenaire, il faut coller à la réalité sans perdre la poésie en route.

Sous son titre utopique à la Saint-Exupéry, «S’il te plaît, dessine-moi un cachalot», l’océanographe François Sarano partage par exemple un très sérieux journal de bord des activités d’Irène, Issa, Mina, Caroline et autres cétacés de 2011 à 2019. L’anthropomorphisme s’arrête aux prénoms, même si le biologiste différencie des spécimens farceur ou enquiquineur, curieux, voire des aventuriers ou au contraire, des résilients. Les anecdotes pullulent. «Un livre entier ne suffirait pas pour retranscrire tout cela», avoue-t-il.
«Les cachalots dorment les uns à côté des autres, dressés comme des menhirs, c’est Carnac, 20 mètres sous la peau de l’océan.»
En appui permanent, les dessins de Pome Bernos suggèrent des abysses vertigineux. Et pourtant, comme si la complicité des savoirs provoquait un regain unique d’énergie, la data devient aussi digeste que les calamars ingurgités par ces géants marins. D’observations scientifiques en envolées poétiques, tout un monde surgit. Voir l’épisode des «Dormeurs du val» scandé par les vers de Rimbaud, instant de pure sidération: «Les cachalots dorment les uns à côté des autres, dressés comme des menhirs, c’est Carnac, 20 mètres sous la peau de l’océan». Recensant les migrations, les généalogies, se posant sous les étoiles, cette virée chez les cachalots, avec ses à-plats de solitude, ses fourmillements de graphiques chiffrés, s’offre avec une originalité rare.

«L’ours, petit traité humoristique à l’usage des humains» démontre que l’osmose de talents peut se pratiquer sur le mode terrestre. Passionné par l’Arctique, auteur de «L’ours, l’autre de l’homme», explorateur chevronné, Rémy Marion a séduit Olivier Lavigne, «dadasophe» accompli, graphiste établi dans un village de l’Ardèche. Ensemble, ils revisitent l’antre du plantigrade, son folklore, sa mythologie, ses anecdotes. Moins docte que Michel Pastoureau qui détaillait le plantigrade dans son classique «Histoire d’un roi déchu», l’ouvrage joue les doudous un peu potaches. Mais c’est le pari de cette collection que d’improviser des formes inédites de récits documentaires à forte teneur écologique. À suivre.
«S’il te plaît, dessine-moi un cachalot»
Pome Bernos & François Sarano
«L’ours, petit traité humoristique à l’usage des humains»
Olivier Lavigne & Rémy Marion
Ed. Actes Sud, Mondes Sauvages


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