Bank of China signe son retour à Genève
Le géant bancaire a décidé d'ouvrir un bureau au bout du Léman. Le résultat d'années de lobbying dans le canton.

Après ABC, BoC. Trois mois après avoir appris l'intention de la troisième banque chinoise, Agricultural Bank of China, d'installer un bureau dans le canton, place à un autre mastodonte de la république populaire. Bank of China va ouvrir une filiale à Genève. L'ambassadeur de Chine en Suisse, Wembing Geng, l'a confirmé dans un entretien samedi à la Tribune de Genève.
Basée à Pékin, la plus ancienne banque de la patrie de Mao figure parmi les poids lourds de la planète en termes d'actifs sous gestion. Elle emploie 300 000 personnes, dont 22 500 hors de Chine. Présente dans plus de cinquante pays, BoC s'active déjà dans le voisinage, avec des succursales du Luxembourg à Milan en passant par Lyon, Hambourg, Paris, Rotterdam, Bruxelles ou Lisbonne. Le groupe s'est lancé récemment en Turquie et au Pakistan. Des centres dédiés au financement du négoce de matières premières carburent à Singapour et Londres.
Va-et-vient en Chine
Le trade finance, c'est justement ce qui attire la banque chinoise au bout du Léman. La carte qu'ont jouée les autorités pour la convaincre de revenir. Car c'est bien d'un retour dont on parle. Ou de la «correction d'une anomalie», selon une source. Comment une telle institution peut-elle s'activer chez tant de voisins mais pas en Suisse, la nation des banques?
Il y a une décennie, Bank of China s'était déjà installée dans le canton. En plein quartier des banques, elle employait une cinquantaine de salariés. Mais quatre ans plus tard, le groupe quitte Genève suite à des mauvaises décisions stratégiques, des conflits internes et un choc culturel. Une affaire qui finira même devant le Tribunal de police, un cadre sera rendu coupable de gestion déloyale.
Ses lambeaux sont absorbés par la maison zurichoise Julius Baer. Une débâcle, alors que l'établissement devait symboliser le renouveau de la place genevoise pendant la crise.

Mais le lien entre la cité et la banque chinoise ne s'est jamais complètement rompu. Son retour improbable aujourd'hui est d'ailleurs à bien des égards le fruit d'un long travail en coulisse des autorités pour la faire revenir.
En 2013, alors que la rupture semble consommée, s'ouvre un dialogue financier avec Pékin à l'occasion d'une visite à Zurich du premier ministre chinois Li Keqiang. L'expertise helvétique doit servir à ses compatriotes pour renforcer leur secteur financier. BoC n'y participe pas. Mais en marge des dialogues émergent des tables rondes ouvertes aux autorités privées des deux nations. Dans ce cadre, les contacts sont repris avec BoC par le biais de Vincent Subilia, alors délégué à la promotion économique.
La mayonnaise prend. Le cinquième dialogue financier entre les deux pays s'est d'ailleurs tenu en décembre dernier à Pékin et en novembre 2016, des cadres de BoC assistent dans ce contexte à Genève à une présentation sur les atouts du canton dans le négoce et la gestion de fortune.
De telles présentations, il y en a eu des tas, de la salle de l'Alabama aux gratte-ciel pékinois en passant par des caveaux à fondue et le vignoble de Satigny. Surtout après l'entrée en vigueur en 2014 du traité de libre-échange entre la Suisse et la Chine (le plus important pour le commerce extérieur helvétique depuis celui conclu avec l'UE en 1972) et la signature la même année d'un accord d'échange de devises entre la BNS et son homologue chinoise.
Deux mois plus tard, le conseiller d'État Pierre Maudet rencontre à Pékin Yue Yi, le vice-président de BoC qui se rendra à son tour à Genève à la veille de Noël la même année. «Welcome back», lui dit-on alors. Le début de nombreux allers et retours entre la vieille ville et la mégapole. Un comité de pilotage de cinq personnes – Pierre Maudet, Vincent Subilia (directeur général adjoint de la CCIG et vice-président de la Swiss-Chinese Chamber of Commerce, la SCCC), Christophe Weber (président de la section romande de la SCCC et secrétaire général de la BCGE), Michael Kleiner (délégué de la promotion économique) et Patrick Baud-Lavigne (directeur du cabinet de Pierre Maudet) – se forme pour nouer des relations durables avec la Chine. Et faire revenir BoC.
Une structure souple autour de laquelle évolue un éventail de personnes, chacune avec ses atouts, selon la méthode «all-inclusive» qui aura marqué la législature de Pierre Maudet. Yves Flückiger, recteur de l'UNIGE, lancera un partenariat avec la principale université de Pékin. Le Graduate institute accueillera une réunion sur les synergies financières sino-suisses avec des cadres de BoC. Patrick Odier, durant sa présidence de l'Association suisse des banquiers et après, ne lésine pas sur les voyages en Chine. «On a tous transpiré», relève Vincent Subilia.
Les résultats ne suivent pas. En mars 2015, quatre banques chinoises, dont BoC, se disent prêtes à s'installer à Zurich, où les services de promotion économique sont également au taquet. En mai, BoC fait savoir que la Banque centrale chinoise lui interdit de se lancer en Suisse pour des questions de concurrence interne. Cinq mois plus tard, China Construction Bank, un autre mastodonte asiatique, ouvre une branche à Zurich. Au sein du comité de pilotage genevois, c'est un «coup de massue» d'autant plus que ce choix est susceptible d'influencer les autres géants financiers de la république populaire.
Le combat contre Zurich
En février 2016, l'espoir renaît. À Shanghai, l'ancienne directrice adjointe de BoC à Genève Zhang Xiaolu, qui œuvre depuis pour la banque à Luxembourg, se dit favorable à un retour de BoC dans le canton. En mars, l'institution fait part de son intention d'ouvrir un bureau en Suisse. Genève joue son va-tout dans cette deuxième manche qui s'annonce contre Zurich, le seul adversaire vraisemblable. «Il faut montrer notre engagement, notre respect, estime Christophe Weber. Multiplier les visites en Chine, répéter les choses, casser le plafond de verre, recréer la confiance.»
Début avril, lettre de Pierre Maudet au vice-président de BoC, Gao Yingxin. Le magistrat réitère l'intérêt de la place à accueillir l'institution. Trois semaines plus tard, une mission de la promotion économique conduite par Catherine Lalive d'Epinay vante à nouveau les atouts de Genève à Pékin. En mai, au tour de Jean-Marc Guinchard, président du Grand Conseil, de partir expliquer dans la cité lointaine les subtilités de la RIE3 et de l'obtention d'un permis de travail dans le canton.
En novembre, en marge du 4e dialogue financier entre les deux pays, à Genève, le comité de pilotage apprend que Xi Jinping se rendra à Davos pour le Forum économique mondial deux mois plus tard. Branle-bas de combat à Berne et à Pékin pour que le président chinois ne se rende pas qu'en Suisse alémanique.
Les autorités genevoises obtiendront 25 minutes avec l'homme d'État dans un train de Lutry à Bellevue. Le traducteur (le président parle en mandarin) leur fait comprendre que le président trouve «incompréhensible que la Chine, cette grande puissance, n'ait pas de présence à Genève», d'autant plus que les deux nations sont liées par un accord de libre-échange. L'implantation d'une banque est évoquée, Xi Jinping promet d'y donner suite.
Le combat avec Zurich continue. En mai, Pierre Maudet rencontre à Pékin les dirigeants de Cofco international, un conglomérat qui lui annonce qu'il envisage de doubler ses effectifs à Genève. Un moment clé. «Un gain de crédibilité pour Genève en Chine», selon Michael Kleiner. Beaucoup d'entreprises, comme ABC, miseront sur le canton dans son sillage.
Mais en juin Air China inaugure à Kloten une liaison avec Pékin avec quatre dessertes hebdomadaires, ce qui porte à plus de vingt par semaine les vols directs vers la Chine et Hongkong (contre trois pour Cointrin). Pis: Addax, la filiale genevoise du géant chinois Sinopec annonce en août qu'elle quittera le bout du lac suite à des déboires avec la justice locale, un incident qui aurait pu tout faire capoter. Deux mois plus tard, un autre mastodonte bancaire de l'Empire, ICBC, ouvre une antenne à Zurich.
Nouveau coup de massue? Pas forcément. Car entre-temps les choses ont évolué. En juillet, le comité de pilotage s'invite une énième fois pour une visite éclair à Pékin. La chaleur moite de la capitale ne le freine pas.
Le groupe se retrouve dans un gratte-ciel pékinois et, après un bref échange d'amabilités, fait une offre directe (assistance pour trouver un logement, contacts facilités avec la Finma et le fisc) au vice-président de BoC. Surpris, ce dernier sort aussitôt de la salle, avant de revenir et de faire savoir que l'établissement hésite entre Zurich et Genève, avec une option sur Zurich. Mais les Genevois argumentent. «J'ai senti un déclic ce jour-là», indique Pierre Maudet. «C'était un voyage clé, estime de son côté Christophe Weber. On a montré notre détermination.»
Vin rouge et vélos
Outre BoC, les Suisses rencontrent la directrice de Tong Ren Tang, le leader de la médecine traditionnelle chinoise qui ouvrira un bureau aux Pâquis quatre mois plus tard. Et boivent du vin rouge chinois avec le directeur de Cofco International. Johnny Chi appelle à cette occasion pour les Genevois son copain de classe, le directeur d'ABC, qui accorde un rendez-vous à Pierre Maudet le lendemain (chose que l'agent local du GGBa, la promotion économique de Suisse occidentale, n'a pu obtenir en plusieurs mois). Des rencontres que les Suisses fêtent en visitant Pékin et la Cité interdite à bicyclette.

Cinq semaines plus tard, et dix jours après l'annonce du retrait d'Addax de Genève, Pierre Maudet reçoit un e-mail avec une lettre en pièce jointe. Le vice-président de BoC salue l'enthousiasme des équipes de promotion du canton et lui indique que le choix de la banque s'est porté sur Genève. Ne manque plus que le blanc-seing de la CBRC, l'autorité de régulation financière de l'Empire.
Elle se montrera pointilleuse. L'hiver est rempli de silences et de craintes de fuite dans la presse, la banque ne voulant rien communiquer avant que tout soit officiel. Le comité est crispé, les rapports avec les médias, qui flairent une histoire, se tendent. Le poids du passé de BoC à Genève refait surface. Une réunion début février à la place de la Taconnerie est organisée discrètement pour régler les derniers détails, quelques jours après une fuite, celle sur les visées genevoises d'ABC.
Initialement, la CBRC devait trancher à la fin 2017 avant que la date du Nouvel-An chinois, le 16 février, ne soit évoquée. Sa décision n'est toujours pas tombée, mais les propos de Wenbing Geng, rendent public le choix de BoC.
Quand viendra la banque et avec quelle force de frappe? Contactés, ses responsables n'ont pas souhaité s'exprimer, tout comme la Finma, l'Autorité de surveillance des marchés financiers suisses. Quant au comité de pilotage, il organise un nouveau voyage en Chine début juillet. Des rendez-vous avec d'autres banques sont déjà pris.
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