Sorties cinéma«Babylon» et ses délires de cinéma d’auteur vigousse
Tandis que les Français s’encanaillent entre «Clan» de barjots corses et «Cyclades» de féministes parisiennes, Hollywood sort le grand jeu.

«Babylon» De la poudre plein les yeux (et la gorge)
Hollywood story Si la tête de Brad Pitt ne vous revient pas, oubliez «Babylon». Sa moue goguenarde surligne le film-fleuve durant plus de trois heures, ses allures de grand fauve s’alanguissent de plis bouffis à mesure que l’habitude ternit son aura. À ce moment-là pourtant, au plus profond des entrailles de la Mecque du cinéma, l’image se brouille par un curieux phénomène.
D’habitude, cinéastes et comédiens gardent leurs petits trucs secrets, cachent les efforts consentis pour pleurer «la bonne larme au bon moment». Mis en scène par le réalisateur Damien Chazelle, ici aussi démoniaque que ses collègues démiurges hollywoodiens, l’acteur se donne ici en spectacle en train de se diluer dans un fantasme.
Fondu enchaîné au personnage de Jack Conrad, superstar d’un septième art vagissant encore son parlant, Brad Pitt se dépouille des filtres. Qu’il en soit esclave ou tyran, la gloire l’habite et le vampirise, suce la moelle de ses rêves, le débarrasse même de ses cauchemars. Face au néant, l’homme s’accommode au mieux de ce corps étrange, coquille vide destinée à se remplir du prochain rôle.
D’une scène à l’autre, une souris avalée crue par un monstre de foire, une confidence vérité arrachée au producteur Irving Thalberg de la MGM, la star obtient la confirmation d’un destin dont il ne peut même pas se plaindre. Aisance financière de pacha, harem assorti à ses envies, confort professionnel d’«une carrière heureuse», ego sanctifié par les fans et les médias… Comme son personnage, Brad Pitt, dans cette solitude si peuplée, confie alors parfois «sa» vérité, comme un amour de l’architecture du Bauhaus à Frank Lloyd Wright. Comme pour meubler le néant. CLE
Note: ***
Saga hollywoodienne (USA, 189’)
«Nos soleils» Attachant sans passion

Chronique Il y a un peu moins d’un an, ce film de la réalisatrice espagnole Carla Simón a reçu l’Ours d’or à la Berlinale. Sans qu’on sache trop pourquoi. Ni pire ni meilleur qu’un autre, ce long métrage, dans la lignée d’«Été 93», précédent film de la cinéaste, raconte le destin d’une famille dans les environs de Saragosse qui vit depuis toujours du produit de ses pêchers. Un coin ordinaire, un quotidien bouleversé par la proposition d’un exploitant désireux de racheter ses terres pour pouvoir y installer des panneaux solaires.
Le portrait brasse large et inclut trois générations. La réalisatrice mélange comédiens amateurs et professionnels. Enfants et adolescents s’en sortent bien, les adultes sont plus ternes. Tout cela est assez bigarré et naturaliste dans le traitement, plutôt joli. Mais il y manque une touche d’universalité, un motif qui nous surprenne davantage. Le tout est attachant sans passion, bien filmé sans folie, augurant l’arrivée d’une forme de cinéma passe-partout. PGA
Note: **
Drame (Espagne, 120’)
«Les Cyclades» Faux tourisme grec

Comédie romantique L’eau et le feu. Blandine et Magalie. Adolescentes, elles étaient inséparables. Puis elles se sont perdues de vue. La fille de Blandine va leur faire rattraper le temps perdu en les réunissant à nouveau. Mais n’est-il pas désormais trop tard? Un voyage en Grèce va donner le la et mettre en lueur les différences irréconciliables des deux copines, à l’opposé l’une de l’autre. «Les Cyclades» est à la fois prévisible et cocasse.
Marc Fitoussi y décrit en tout cas très bien ce sentiment qu’on a tous éprouvé un jour en partant en vacances avec des amis: soit ce regret d’être avec eux et cette envie de tout envoyer valser. Il le fait dans un cadre paradisiaque, sans prétendre donner envie d’aller prolonger le séjour sur l’une ou l’autre des îles qu’il filme (il est vrai sans inspiration), mais il donne surtout à ses deux actrices, Laure Calamy et Olivia Côte, qui étaient déjà réunies dans «Antoinette dans les Cévennes» de Caroline Vignal, un formidable écrin de jeu qui leur permet de profiter de l’énergie l’une de l’autre.
Laure Calamy est pétulante, débordante de vitalité, insupportable. Olivia Côte est rassérénée, trop sage, insupportable elle aussi. Seule Kristin Scott Thomas, dans un rôle à côté de la plaque, vient ternir une harmonie qui n’avait pas besoin d’elle. PGA
Note: **
Comédie (France, 110’)
«Que les lumières soient» C’était la Suisse

Documentaire Tout commence par une découverte. Celle d’une cinquantaine de bobines qui dormaient dans une cellule de Bois d’Arcy, au service des archives du film du CNC. Au départ, leur identification pose problème, mais une fois leur origine dévoilée, on prend conscience du patrimoine qu’elles représentent, puisque ce sont là les premières images jamais tournées en Suisse à l’aube du cinéma. Genève, Berne, Lausanne, notamment.
D’une époque révolue surgit alors la silhouette d’un pionnier, un certain Lavanchy-Clarke, publicitaire vaudois de cette période et héros de ce documentaire nécessaire de Hansmartin Siegrist. «Lichstpieler» (intitulé «Que les lumières soient» dans les parties francophones du pays) dévoile une vie et un regard qui malgré les années demeure intact et pertinent. L’histoire de la Suisse y rejoint la destinée d’individus et d’une famille dont l’influence fut réelle, pour ne pas dire fondamentale.
Concessionnaire Lumière pour la Suisse, premier producteur suisse et précurseur d’un marketing agressif, Lavanchy-Clarke ressort de l’oubli à travers un montage habile – les scènes d’époque y sont superposées avec les mêmes plans aujourd’hui – et un commentaire discret. PGA
Note: pas vu
Docu (CH, 102’)
«AEIOU, l’alphabet rapide de l’amour» ABC…

Art et essai Le synopsis de ce curieux film de Nicolette Krebitz pourrait facilement faire l’objet de moqueries. Sur une trame vaguement apparentée à «Harold et Maude», voici l’histoire d’une vieille comédienne pénible et excentrique qui se prend d’affection (voire plus) pour un petit minet attachant mais agaçant. À quel moment le récit endosse-t-il vraiment le caractère fusionnel de leur relation? Jamais, hélas.
Ni le scénario ni la mise en scène ne s’en chargent. Comment expliquer le comportement fantaisiste et suranné du duo? On ne l’explique pas, malheureusement. Ce qui en soi n’est pas un problème, sauf que là, il n’y a pas grand-chose d’autre à quoi se raccrocher. «AEIOU, l’alphabet rapide de l’amour» parle un peu de théâtre, un peu de transmission, un peu de folie. De tout, de rien, et surtout de rien.
En Allemagne, l’actrice principale du film, Sophie Rois, est une sorte de légende, et en tout cas une grande dame du théâtre. Ses films n’ont en revanche jamais franchi les frontières du pays. Son jeune partenaire, Milan Herms, n’en est pas non plus à ses débuts et fait carrière au théâtre depuis 2016. Les reverra-t-on? PGA
Note: *
Drame (Allemagne, 104’)
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.