Théâtre de CarougeAvec «Le conte des contes», Omar Porras nous fait la totale
Le Covid lui avait fait barrage? Rien n’entrave plus le déluge orchestré par le roi du Teatro Malandro, qui vient inonder Genève, juste après le Théâtre Kléber-Méleau, son royaume.

Approchez, mesdames et messieurs, le docteur Omar vous a concocté l’élixir des élixirs, le remède aux virus longue durée, le cataplasme antispleen, le purgatif des morosités en tout genre! Derrière le rideau du Théâtre de Carouge, la panacée vous sera administrée par nulle autre que l’illusion théâtrale: paillettes, effets spéciaux, fumigènes et autres intempéries réglées depuis les cintres attendent de vous délivrer des maux les plus incurables.
À l’image du neurasthénique Prince Carnesino, dont «Le conte des contes» a pour effet gigogne de chasser les idées noires, laissez-vous distraire par un spectacle qui lorgne à la fois du côté du Grand-Guignol, du cabaret, du train fantôme, de la comédie musicale, du film gore, de la fantasmagorie et de la revue. Ainsi pourrait sonner le boniment du nouveau Porras.

La production 2020 du Teatro Malandro (tour à tour reportée, interrompue puis tout juste recréée à Renens) a la démesure chevillée au corps. Le «Pentamerone» dont elle s’inspire, que le Napolitain Giambattista Basile publia au XVIIe siècle, s’abreuvait déjà à une profusion de fables, légendes et récits populaires pour redonner le sourire à une princesse maussade.
Notre artificier venu de Colombie ne fait qu’ajouter au flot initial les références glanées au gré de son propre parcours – de Molière à Wedekind, mais également de Tim Burton au «Rocky Horror Picture Show», du burlesque au Broadway show, sans négliger les apports féconds de «La psychanalyse des contes de fées» par Bruno Bettelheim.

Parce qu’elle zappe sans trêve d’un registre à un autre, cette surabondance carnavalesque peut provoquer la nausée. Éclairages envoûtants, costumes et maquillages baroques, gestuelles expertes, accessoires sanguinolents, sonorités variées, vocalises tantôt rock, tantôt lyriques… les sens finissent par s’émousser et les esprits se gélifier. Trop de contes tuent le conte. Peut-être même que trop de talents étouffent le talent. En tout cas, le nombre n’est qu’un faux ami du divertissement.

Par bonheur, la mise en scène déroule un fil rouge qui prévient l’indigestion. Le phénomène survient chez les enfants qu’on borde au lit, chez les spectateurs d’un film ou d’une pièce, et jusque chez les personnages de ce «Conte des contes»: racontez-leur correctement une histoire, ils en reproduiront les dialogues sur leurs lèvres muettes; ils en refléteront les émotions sur les traits de leurs visages; ils en épouseront corporellement les différentes péripéties. La belle idée d’Omar Porras est d’avoir thématisé sur scène l’identification du public, tout au long d’une sensible mise en abyme. Et de lui avoir attribué ainsi la principale valeur thérapeutique du pacte théâtral: devenir autre un instant.
«Le conte des contes» Jusqu’au 10 avril au Théâtre de Carouge, www.theatredecarouge.ch
Katia Berger est journaliste au sein de la rubrique culturelle depuis 2012. Elle couvre l'actualité des arts de la scène, notamment à travers des critiques de théâtre ou de danse, mais traite aussi parfois de photographie, d'arts visuels ou de littérature.
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