Spectacle itinérantAvec Borges, les livres sont pris de folie
Entre théâtre d'objets, danse et musique électronique, la compagnie Zanco ressuscite l'auteur argentin disparu à Genève.

Adossé à une vaste bibliothèque, un vieil écrivain aveugle en parcourt les rayonnages. Il sort un livre, en feuillette un autre, hume le parfum des pages jaunies. À voix basse, il entame un dialogue avec les recueils qu'il manipule. Insensiblement, ceux-ci semblent s'animer d'une vie autonome. Les feuillets d'un roman se tournent tout seuls, un volume choit sur le sol, un tigre en origami jaillit d'une couverture. Plus tard, une vague de papier viendra envahir l'espace et submerger l'occupant des lieux.
Cet octogénaire aux yeux vides qui se meut au milieu de millions de mots et de phrases n'est pas un inconnu. Il se nomme Jorge Luis Borges. L'homme de lettres argentin, disparu à Genève en juin 1986, ressuscite par la grâce de la compagnie Zanco. À la Société de lecture la semaine dernière, entre les murs de la Fondation Bodmer ces jours, l'auteur de «La Bibliothèque de Babel» joue les passeurs entre rêve et réalité, au fil d'un magnifique spectacle pluridisciplinaire.
Itinéraire onirique
Mêlant théâtre d'objets, musique électronique et danse, «Borges Variations» emmène le public dans un itinéraire onirique inventif dont Zanco a le secret. À l'image de «Chantier_Racine» en 2014 et 2015, ou de «Wild Things» l'an dernier, les créations itinérantes de cette troupe genevoise plongent le public à l'intérieur d'une fiction où l'espace devient protagoniste de l'histoire. Pour Borges, la bibliothèque constitue à l'évidence un cadre idéal. «J'aime travailler sur les lieux comme métaphore de ce qu'ils racontent», explique le metteur en scène Yuval Dishon.
Après plusieurs productions sur des sites démesurés – chantiers ou parcs – Zanco privilégie une approche plus intimiste avec «Borges Variations», rêverie autour du personnage de Borges. Déjà présent dans les deux versions de «Chantier_Racine», l'écrivain incarne pour Yuval Dishon l'archétype du devin qui voit dans l'invisible. «Son univers tout à la fois très cérébral et très sensible me paraît constituer un passage idéal vers l'imaginaire. À travers la figure de Borges, je réponds à des questions que je me pose de spectacle en spectacle. Notamment comment matérialiser des hantises insaisissables, des rêves inavouables, des fantaisies informulées.»
Tour à tour manipulée par Fiona Carroll et Mehdi Duman, formidables comédiens aussi à l'aise à la contrebasse (elle) que dans des passages chorégraphiques (lui), une marionnette géante à l'effigie du poète argentin esquisse un tango au milieu des livres, sous un éclairage tamisé. Les bras des acteurs se glissent dans le costume du pantin au visage expressif. Illusion troublante, ambiance envoûtante, renforcée par les arabesques dansées de Lola Kervroëdan.
Climat musical captivant
Délicieusement mystérieux, le climat de «Borges Variations» doit aussi beaucoup aux notes de POL, compositeur genevois inspiré, producteur de sons électroniques. «Nous avons déjà collaboré plusieurs fois», rappelle Yuval Dishon. «Pour cette nouvelle création, je songeais à une spirale musicale qui revient sur elle-même et repart. J'ai pensé aux «Variations Goldberg» de Bach, dans une version moderne. C'est le défi que je lui ai lancé. POL y a répondu, à partir de quelques mesures d'Astor Piazzolla.» À la fin du spectacle, tandis que s'estompent les harmonies de POL, le personnage de Borges rappelle dans une belle phrase dédicace qu'«écrire, c'est faire de la magie». On ne pouvait rêver de meilleure conclusion.
«Borges Variations», sa 10 et di 11 novembre, Fondation Bodmer, Cologny. Sa 20h, di 11h. Également ve 16 nov. à 19h30, Bibliothèque de la Jonction, boulevard Carl-Vogt 22
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