Performance augmentéeAu Grütli, les borborygmes assourdissants de l’hérédité
Comment tuer le père, et les pères avant lui? Un acteur et sept écrans à l’appui, Sébastien Grosset et Christian Geffroy Schlittler répondent à la question par la technologie «7G».

«La 7G», c’est une installation audiovisuelle. Non. C’est une partition polyphonique. Toujours pas. Un digest de l’histoire patriarcale? Mouais. Un essai généalogique, alors? Mieux, une séance d’exorcisme? Pas exactement. Bon, ça y est: c’est la ratification scientifique du don d’ubiquité. Que nenni? D’accord, je m’incline, c’est un monologue théâtral augmenté, conçu pour un acteur seul en scène et un chœur de sept écrans, à ne surtout pas manquer d’ici au dimanche 19 février dans la petite salle au 2e étage du Grütli.

Vous l’aurez compris, «La 7G» incorpore un peu de tout ce qui a été mentionné ci-dessus – et plus encore. Or, malgré son statut d’art total, la performance peine à s’attirer un public. Si son format compact éprouve certains spectateurs, il en tient d’autres en haleine deux heures durant, conduisant votre dévouée à noircir frénétiquement dix pages de son calepin. La radicalité de ce spectacle de poésie sonore inspire pour le moins.

La malédiction remonte à la nuit des temps. Elle se transmet de père en fils depuis Adam Geffroy jusqu’au Christian qui la rompt en mâtinant son patronyme. Elle se perpétue d’une génération à l’autre – Caïn, Hénoch, Irad, Mehujaël, Methushaël, Lamech, Toubal, tous aïeux voués à reproduire sur différents modes le schéma du viol, du fratricide, du parricide, de la répudiation et de la folie. Aucune présence féminine n’est ici nécessaire: pour le rejeton mâle d’une telle filiation, c’est courage fuyons. Sans attendre l’introduction de la téléphonie 7G.

Sur le plateau, un kaléidoscope babélien d’écrans (Daniel Zamarbide à la scéno). Christian Geffroy Schlittler fois sept, dans des captations autonomes (Luca Kasper à la création vidéo). Par-devant, le comédien en chair et en os, pieds nus comme à l’image, un lutrin de musicien ou de prédicateur sous le bras. Enregistrées ou live, les péroraisons s’enchevêtrent: des récits biographiques à la première personne, calés sur le calendrier révolutionnaire, en boucle jusqu’à la cacophonie. Il faut tirer le fil de l’écheveau, s’affranchir de l’envahissant brouhaha. Réfuter la métempsycose.
Et écouter, surtout, se détacher une voix singulière entre toutes. Celle de Sébastien Grosset, interceptée déjà au gré de projets passés – «Xanax», «Le centre du monde», «Les fondateurs», etc. –, mais qui atteint avec la maturité une puissance toute biblique. Licencié en philosophie, musicologie et esthétique, le dramaturge a composé le texte de «La 7G» comme un réseau infiniment fécond d’échos, de canons et d’allitérations. Où la parole en dit sept fois plus qu’elle n’en a l’air.
«La 7G», jusqu’au 19 février au Théâtre du Grütli, www.grutli.ch
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