ThéâtreAu Grütli, embarquement immédiat pour l’au-delà
Après «Bleu» et «Fuchsia saignant», Anna Lemonaki prend de l’altitude en consacrant le troisième volet de sa tétralogie, «Blanc», à une célébration païenne de la mort.

Au sous-sol du Grütli, la grande salle s’est muée en cabine d’avion. Pas de gradins, mais deux rangées de fauteuils de plain-pied, séparées par un couloir bientôt recouvert de sa moquette. Contre le dossier du siège de devant, un filet retenant une carte d’instructions à l’effigie de la compagnie Blanc Universal Airways. S’y imprime un poème bilingue en grec et français, qui conjugue les narguilés du rébétiko aux encens de la liturgie orthodoxe. Non loin du cockpit, une bestiole type Gremlin descend brièvement du ciel pour accueillir les passagers de sa voix synthétique. Aussitôt après, c’est vers une Olympe verdoyante où cohabitent trois Moires vêtues de velours et un Jésus guitariste à pattes d’éph’ que pointera le nez du Boeing tout au long du spectacle. Sauf quand une gomme géante fait irruption entre les fauteuils pour se débarrasser de son encombrant costume et révéler sa tendre nudité de vieille dame. Ou quand il s’agit de gonfler le toboggan d’évacuation en vue d’y précipiter vers le trépas une nettoyeuse de jets pêle-mêle avec la terre destinée à l’ensevelir.
On complétera ces quelques images sélectionnées en vrac par celle d’une Clotho donnant naissance au Futur par un vagin en tissu rembourré pour donner une idée du registre foutraque que choisit l’auteure, metteure en scène et comédienne genevoise Anna Lemonaki pour aborder le thème de la mort – auquel elle associe le chromatisme «Blanc». Un thème inattendu, que la Crétoise d’origine traite juste après avoir survolé ceux de la crise d’angoisse dans «Bleu», puis de la violence familiale dans «Fuchsia saignant», le tout dans le cadre d’une tétralogie qu’elle conclura en 2022 par «G.O.L.D.» À considérer les moyens croissants dont dispose la créatrice à chaque étape, on se dit que la dernière devrait mériter son titre.
Mort dédramatisée
Si la thématique étonne, c’est d’abord qu’elle prend passablement de hauteur par rapport aux précédentes, qui ne décollaient pas de la psychologie à fleur de peau de l’artiste. Les souvenirs, références et visions d’Anna Lemonaki restent certes très présents dans ce volet, mais la grande faucheuse, dans son égalitarisme légendaire, ne se laisse pas accaparer par une individualité unique, elle se donne par définition en partage.
Seconde surprise: la pièce, loin de se lamenter du funeste destin qui nous guette tous pareillement, prend le parti de le dédramatiser par le rire, voire d’y acquiescer par le délire. Davantage que la caution scientifique obtenue auprès d’un sociologue et d’une ex-sage-femme reconvertie à l’astrophysique, c’est bien pour ses hérésies décomplexées qu’on serait amené à voter «Blanc».
«Blanc» Théâtre du Grütli jusqu’au 6 juin, www.grutli.ch
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