L’opéra en streamingAu Grand Théâtre, Pelléas et Mélisande se livrent à une passion glaciale
Plongée dans un décor minéral, la pièce de Debussy séduit par sa beauté plastique et musicale.

Aurait-on atteint, avec le «Pelléas et Mélisande» proposé dès lundi soir par le Grand Théâtre, une rupture d’échelle majeure dans l’histoire de l’opéra? On pourrait le croire tant il a fallu composer avec une discordance grandissante entre la nature prodigieusement sophistiquée du spectacle et les supports étroits sur lesquels tout cela allait être consommé. À savoir des écrans d’ordinateurs pour un rigoureux streaming sanitaire. Il faut avoir été présent dans une salle tristement vide, flanqué de quelques rarissimes privilégiés, pour mesurer la profondeur du hiatus en question. Avec l’opéra de Debussy, un fait est certain, le Grand Théâtre a frappé un beau coup: il est parvenu tout d’abord à garder à l’affiche une production ambitieuse, à un moment où le silence des salles est particulièrement oppressant. Il a rendu visible aussi le travail d’une équipe de carrure internationale; le concept scénique ayant été conçu par Marina Abramovic et la mise en scène portant la signature des deux grands chorégraphes que sont Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet.
Ajoutons à cela une dilatation de la fosse vers la quasi-totalité du parterre, qui a permis de loger un nombre opulent de pupitres, et on tenait là les prémisses d’un spectacle grandiose. L’a-t-il été vraiment? Les premières mesures l’ont laissé entendre. D’entrée, le dispositif sur les planches a plongé le spectateur dans une enveloppe circulaire, qu’on pourrait associer à l’intérieur d’un globe oculaire. Au centre, un iris aux dimensions mouvantes ouvrait la voie vers d’autres mondes, à travers des images – celles du vidéaste Marco Brambilla – de nébuleuses, d’astéroïdes et de planètes de toutes sortes. Cet environnement à la plastique saisissante, à peine enrichi par l’apparition de grands cristaux couchés ou suspendus, a paré le spectacle d’un trait minéral quasi glacial, immuable durant près de trois heures.
Symbolique appuyée
Il s’en est dégagé, avec l’avancée du drame amoureux, une monotonie que les chorégraphies des sept excellents danseurs, équipés la plupart du temps de simples culottes couleur chair, n’ont pas réussi à rompre. Leur présence, au contraire, a paru parfois envahissante, soulignant avec trop d’insistance les innombrables plis symboliques que recèle la pièce. Cet appui obstiné a fini aussi par affaiblir le poids spécifique des personnages: la direction de jeu, peu caractérisée, n’a jamais fait le contrepoids ni mené les sentiments puissants entre Pelléas et Mélisande et la jalousie meurtrière de Golaud vers les climax attendus.
Une profondeur atteinte par l’Orchestre de la Suisse romande et son chef Jonathan Nott, qui ont fait preuve de subtilité et de tact en dénouant la trame complexe des partitions de Debussy. On dira de même de la distribution, où ont brillé tout particulièrement les rôles-titres incarnés par Mari Eriksmoen et Jacques Imbrailo.
«Pelléas et Mélisande», à revoir durant le mois de janvier sur www.gtg.ch
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