Quand j’étais petite, il m’arrivait de jouer à «compter aussi loin que je peux». Je ne crois pas avoir dépassé cent. Surtout, je n’ai pas trouvé la réponse à la question qui me taraudait: que se passe-t-il au bout? Comme beaucoup d’enfants, j’essayais de comprendre si une limite existe et ce que signifie cet infini qui peut faire peur.
À l’époque, les adultes regardaient «L’Homme qui valait trois milliards». Diantre, quelle science-fiction! J’ai repensé à tout cela en lisant les chiffres énoncés en marge de l’affaire Credit Suisse. 9 milliards ici, 200 autres là. Ces 50 milliards supplémentaires, qui semblent avoir été omis? À ce stade, cela ne change plus grand-chose pour le quidam. On ajoute un peu plus à énormément.
«Des clients se demandent s’ils ne devraient pas privilégier une banque à taille humaine.»
Comme tout le monde, j’ai essayé de rendre les chiffres plus concrets. 259 milliards, donc, représentent plus de 29’000 francs par habitant du pays. C’est étonnant, mais présentée ainsi, la somme donne davantage le vertige. Parce qu’elle est compréhensible.
Bien sûr, l’État ne donne pas cet argent. Il fournit des garanties. C’est paradoxal, l’argent mis sur la table doit sécuriser la confiance des clients et des partenaires; mais l’addition est telle que cela en devient inquiétant. Notre petite Suisse a-t-elle les reins pour cela? Frissons, jusque dans les dos des clients qui se demandent s’ils ne devraient pas privilégier une banque à taille humaine.
Mais continuons. Qu’y a-t-il après 100 milliards? La nouvelle UBS née de la fusion avec Credit Suisse affiche quelque 5000 milliards d’actifs investis au bilan (et le risque pourrait être un multiple de ce chiffre). Précision: on parle cette fois de dollars, mais ne chipotons pas avec les centimes! «Le Matin Dimanche» nous a appris que cela représente 26 fois la fortune d’Elon Musk et 50 fois les dégâts en Ukraine. On découvre ainsi que le milliardaire américain pourrait voler au secours de ce pays sans finir à la rue.
L’absurdité du milieu
Qui veut gagner des millions? La question ne ferait presque plus rêver. Depuis quelques années, il semble de bon ton de relativiser tout cela. Mais les milliards représentent de l’argent. La banque centrale ne fait pas de cadeau en le distribuant gratuitement. Celui ou celle qui avoue sa peine à saisir les montants en jeu risque de se faire traiter de naïf? On peut se demander si, quand ils articulent des sommes astronomiques comme si elles étaient normales, ce ne sont pas les milieux financiers qui deviennent absurdes.
D’un côté, les citoyens comptent les francs. De l’autre, on jongle avec les milliards de dollars. Bien entendu, ces deux mondes ne sont pas totalement séparés. Ils se retrouvent par exemple quand l’État vole au secours d’une institution, ce qui permet aussi de sécuriser les économies des ménages. Mais cette rencontre révèle surtout l’ampleur du décalage. Et si c’était ça, la réponse? La limite cherchée par les enfants est relative.
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La rédaction – Au fait, il y a quoi après 100 milliards?
Notre journaliste remet en perspective les milliards dépensés pour le sauvetage de Credit Suisse.