«Un Européen!» Au «Davos russe», organisé en cette fin de semaine à Saint-Pétersbourg, la surprise se lisait sur certains visages d’hommes d’affaires. «C’est bien que vous soyez venu ici…» sourit l’un de ces patrons d’entreprise russes trop contents de discuter avec un journaliste d’un «pays supposé ennemi».
Depuis le début de «l’opération militaire spéciale» du Kremlin en Ukraine, selon la litote officielle, la Russie a mis les pays sanctionnant Moscou, dont la Suisse, dans une liste d’États «inamicaux». Les pays «amis» incluent notamment la Chine, l’Égypte, l’Iran et quelques autres nations devenues du coup cette année invitées d’honneur au SPIEF, le Forum économique international de Saint-Pétersbourg, orchestré sur les bords de la Neva par le Kremlin de Vladimir Poutine pour séduire les investisseurs étrangers.
«À quelque pas de là, les tenues égyptiennes cèdent la place aux turbans afghans.»
«Aujourd’hui, en fait, nous sommes surtout entre nous, les Russes», ironise ce même CEO, sourire complice mais incapable d’en dire plus sur son opposition personnelle à l’offensive russe en Ukraine. «En interne, je trouve des moyens détournés et indirects de critiquer. Mais un mot de trop et c’est un billet d’avion sans retour pour l’exil hors de mon pays!» rappelle-t-il.
Au programme de ce forum: aucun des panels traditionnels avec les pays occidentaux. Mais s’enchaînent les tables rondes avec la Chine, l’Égypte, l’Afrique, l’Amérique latine ou l’Iran. «Nous voulons aller plus loin avec vous!» lance ainsi tout sourire Nevine Gamea, la ministre égyptienne de l’Industrie. À côté d’elle, Denis Mantourov, son homologue russe, lui répond par des chiffres: un million de touristes russes en Égypte l’an passé, six millions de tonnes de céréales livrées…
À quelque pas de là, les tenues égyptiennes cèdent la place aux turbans afghans. Une délégation de talibans a en effet été invitée. «Nos deux pays sont amis. Il est temps de renforcer nos relations économiques», nous confie Mohammad Yonasss Hossain, vice-directeur de la Chambre de commerce et d’industrie afghane.
«Nouvelles opportunités»
Dans les couloirs se croisent d’autres délégations peu visibles les années précédentes, venues d’Afrique et vêtues de leurs boubous colorés ou débarquant… des deux républiques séparatistes prorusses de l’est de l’Ukraine. Avec un même thème pour les discussions: les «nouvelles opportunités dans un nouveau monde», selon le slogan fourre-tout du forum qui annonce accueillir 40 délégations étrangères au total.
À Saint-Pétersbourg, pendant ces «nuits blanches» qui depuis vingt-cinq ans avaient séduit le gratin occidental des affaires, l’Européen se sent du coup bien esseulé. «On observe… Faut sortir de sa bulle et penser à l’après!» glisse un homme d’affaires français, habitué du SPIEF mais qui demande à rester anonyme. «Chez nous, la Russie est devenue toxique. Vaut mieux rester discret», se justifie-t-il. Tout en pensant business et serrant les mains d’anciens partenaires russes.
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La rédaction – Au «Davos russe», le Kremlin met en scène ses nouveaux amis
Notre correspondant à Moscou s’est glissé parmi les invités du Forum économique international de Saint-Pétersbourg.