Concert exceptionnel de pianoArcadi Volodos, au-delà du silence
Le pianiste russe limite ses apparitions. Rencontre avec un soliste hors du temps mais lucide, avant ses récitals à Lausanne et à Genève.

Avec lui, le piano est un instrument à vent, à cordes: une vibration, un souffle, mais certainement pas un râtelier de marteaux percussifs. Arcadi Volodos joue à Lausanne ce samedi 4 décembre – une première dans sa carrière – et à Genève lundi 6. L’attente suscitée par sa venue pour de nombreux mélomanes mérite quelques explications. Et une heureuse occasion de converser, par téléphone et en français, avec un interprète à la parole aussi rare que ses récitals.
Quand on ne sait plus comment décrire les qualités d’un artiste, on dit qu’il est un poète. Cela a été dit et redit à propos du pianiste russe et il faut avouer que l’épithète lui convient, avec ce qu’on peut lui associer de profondeur, d’élévation, de détachement, de charme aussi, et cette faculté de transfigurer la réalité en s’y confrontant au plus près.
Le virtuose russe a connu un début de carrière mirobolant dans les années 90 qui l’a mis en scène comme un nouvel Horowitz. Mais lassé par ce rythme effréné et les pressions du système qui l’enfermaient dans l’éclat de ses transcriptions pyrotechniques, Arcadi Volodos a réduit le nombre de ses concerts, abandonné les concertos pour ne se concentrer finalement que sur la quintessence du piano solo. Cette année, l’ermite aborde une nouvelle «Sonate» de Schubert et revient à Schumann, qui lui prend toutes ses forces.
Vous êtes apparu sur la scène internationale comme un virtuose chevronné. Comment le piano est-il entré dans votre vie?
Je n’ai, par chance, jamais été un enfant prodige qui vit enfermé des heures dans sa chambre à travailler. J’ai eu une enfance plutôt banale, mais où j’ai pu faire les expériences de la vie qui comptent beaucoup. Il y avait tout le temps de la musique à la maison, où mon beau-père collectionnait et écoutait des disques sans arrêt. J’ai suivi une école de chant et de direction chorale où je côtoyais des jeunes pianistes bien plus avancés que moi. J’ai commencé le piano comme instrument complémentaire à 8 ans. Mon premier professeur m’a avoué plus tard qu’il n’aurait jamais cru que je deviendrais pianiste. La passion pour l’instrument est venue assez tard, vers 13-14 ans. Les choses sérieuses ont commencé quand je suis parti à Moscou et que j’ai rencontré Galina Eguiazarova, qui m’a donné confiance en moi.
Vous ne jouez plus avec orchestre, et jamais en musique de chambre. La musique n’est-elle pas aussi un partage?
C’est quelque chose de très subjectif. Tout nous influence, nos joies et nos tristesses, et on ne joue jamais deux fois la même chose. J’ai fait trop de tournées avec des orchestres où je côtoyais des musiciens frustrés et fatigués. On n’avait pas le temps de répéter. Et les chefs sont terrorisés si on change de tempo d’un soir à l’autre. Pour bien jouer en musique de chambre, il faut connaître la respiration de ses partenaires, sinon c’est de l’industrie. Et le répertoire pour piano seul est si vaste que ma vie est trop courte pour l’élargir encore. Je préfère approfondir. Choisir un programme est plus difficile que de le jouer. Et on commence à progresser après le premier contact avec le public. Voyager pendant un an avec les mêmes chefs-d’œuvre me semble la seule façon d’exister.
Vous vivez retiré dans les montagnes du centre de l’Espagne. Qu’avez-vous trouvé là-bas dont vous aviez besoin?
Le silence. Pour qui aime la musique et y habite, c’est la chose la plus précieuse, comme l’air que je respire. Dans notre monde, on n’a plus de silence. Moi, je meurs si je reste dans le bruit. C’est là que je peux me concentrer pour apprendre mon nouveau répertoire, car quand je suis en tournée, entre les déplacements et la préparation de l’instrument, je n’ai pas le temps de vraiment travailler.

Êtes-vous de ceux qui ont apprécié le confinement dû à la pandémie?
C’était le plus beau moment de ma vie! J’ai pu rester un an et demi auprès de ma fille, avec qui nous avons fait l’école à la maison. Pour quelqu’un comme moi qui a voyagé pendant vingt-cinq ans, être enfermé avec ma famille est un cadeau. Les pères souvent ne voient leurs enfants que quinze minutes par jour et ne savent pas ce qu’ils perdent!
Est-ce pour cette raison que vous avez gravé si peu de disques?
J’ai joué une fois pour offrir un peu de musique à des enfants malades du cancer à Saint-Pétersbourg, mais sinon je n’ai jamais accepté. On ne peut pas reproduire réellement le son d’un concert en direct. Horowitz disait que les enregistrements de Rachmaninov ne rendaient que 70% de ce qu’il avait joué.
L’enregistrement a beaucoup détruit. On est aujourd’hui tellement surchargés de références que nous avons bien plus de responsabilité qu’il y a 50 ans. Je n’ai jamais été vraiment satisfait de mes disques, à part quelques moments chez Mompou ou chez Brahms.
Lausanne, Opéra
Sa 4 décembre (19 h)
Rens.: ticketcorner.ch
Genève, Victoria Hall
Lu 6 (20 h)
Rens.: monbillet.ch
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