Apelab: quand le spectateur se mue en héros
Fondé par quatre anciens étudiants de la HEAD, le studio genevois produit des récits audiovisuels où l'utilisateur interagit avec son corps.

Née du mariage de deux établissements bicentenaires, la Haute Ecole d'art et de design - Genève (HEAD) célèbre cette année une décennie d'existence. Dix ans qui ont vu l'académie s'impliquer dans la vie de la cité, essaimant dans les espaces publics et privés des projets artistiques de qualité. Ses cinq filières se sont taillé une solide réputation bien au-delà des terres helvétiques et ne cessent de faire éclore de remarquables talents. Tour d'horizon.
Attention, success story. Lorsqu'on évoque Apelab, au sein de la Haute école d'art et de design (HEAD), il paraît évident qu'il s'agit pour l'heure du succès le plus flamboyant à l'actif d'alummni. Créée en 2014 par quatre anciens de l'école, cette start-up genevoise versée dans la production de contenus narratifs interactifs pour réalité virtuelle a rapidement éveillé l'intérêt des médias, puis celui de l'industrie du jeu vidéo, avant de capter l'attention de Hollywood. Le quatuor a d'ailleurs ouvert, en 2015, un bureau à Los Angeles, dans l'idée de s'insérer au cœur du marché.
Un manga futuriste à 360°
Emilie Joly, Michael Martin, Sylvain Joly et Maria Beltran se rencontrent sur les bancs de la HEAD, alors qu'ils fignolent leur master en media design. C'est à l'école que la petite bande forme son dessein de créer un laboratoire de design interactif. Elle le développe, dix-huit mois durant, dans l'incubateur de la Fondation AHEAD, une structure qui retient chaque année deux projets entrepreneuriaux pour les encadrer professionnellement et financièrement. «Ça nous a notamment permis de trouver des mentors et de lancer un processus de brevet, dont la première étape vient de se terminer», explique Emilie Joly, la CEO.
Le socle de l'aventure Apelab, c'est IDNA, une BD animée interactive sur 360° pour iPad, inspirée de l'univers manga, que Sylvain avait mitonnée pour son travail de bachelor. Cette histoire futuriste – en 2065, une jeune fille devient gardienne de la dernière ville sur terre et change le monde en communiquant avec la nature – se voit rebaptiser Sequenced lors de son adaptation pour les casques de réalité virtuelle. Lorsque le joueur s'en coiffe, il peut faire évoluer l'intrigue par le regard, en agissant sur les personnages ou l'environnement, un peu à la manière des «livres dont vous êtes le héros», célèbres dans les années 1980.
Un épisode pilote de cette série immersive, déjà saluée par une avalanche de prix internationaux, a été présenté au festival de Sundance en 2016. Elle a aussi su séduire le gratin de l'industrie cinématographique, tel l'acteur Peter Coyote, qui prête sa voix à la narration. «L'aspect assez écolo de l'histoire lui a plu, raconte la directrice. Et le mythique John Howe, illustrateur du Seigneur des Anneaux, a également accepté de collaborer!»
On doit à la fine équipe établie aux Acacias deux autres réalisations permettant d'expérimenter la réalité virtuelle. D'abord Break a leg, une aventure décalée dans le monde de la prestidigitation où, cette fois, le joueur, dans la peau d'un illusionniste, peut utiliser non seulement ses yeux mais aussi tout son corps pour se déplacer. Ensuite Watchout, adapté du long-métrage d'animation Ma vie de Courgette. «L'idée était de faire un petit jeu en 360° pour les enfants en reprenant les marionnettes du film, détaille Emilie. Il est téléchargeable sur App Store et Google Play, et on le distribue dans les festivals, comme à Soleure. Il s'agit de la première production en réalité virtuelle de la RTS.»
Trouver les investisseurs
Pionnier de la narration spatiale interactive, le quartette genevois a réussi à élaborer une technologie multiplateforme et avant-gardiste. S'il fourmille de projets, il lui reste maintenant à convaincre les investisseurs des atouts économiques de ses produits. «Il faut en faire un business profitable. On n'est pas encore rentable, on ne fait que de la production. Actuellement, un de nos gros boulots, c'est la levée de fonds.» Disposer d'une bourse bien garnie, voilà qui permettrait aux singes malins d'Apelab de jouer au sommet de l'arbre virtuel.
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L'imagination au service de l'espace
Architecture d'intérieur

Scénographie pour le Prix artistique HEAD/Croix-Rouge. J. GREMAUD
Qu'ont en commun la Ville de Genève, le Mamco, la Maison de l'histoire de l'Université de Genève ou le Musée Jenisch à Vevey? Ils figurent, au côté de nombre d'artistes et d'institutions, sur la déjà longue liste de clients et de collaborations de l'architecte d'intérieur Juliette Roduit.
Diplômée en 2011, la trentenaire est aujourd'hui indépendante, après avoir occupé durant deux ans un poste d'assistante à la HEAD et remporté, en 2013, le concours de la Fondation AHEAD (lire ci-dessus). Articulant son travail autour de la scénographie d'exposition et du design d'espace et d'objet, elle a acquis une jolie notoriété qui lui permet désormais de tourner financièrement grâce à ses seuls mandats.
Parmi ses dernières réalisations, la scénographie pour le Prix artistique Croix-Rouge HEAD. Juliette imagine, pour présenter les créations des cinq candidats à la distinction, des écrins colorés et biscornus. «L'enjeu, comme pour tout ce que je fais, est de mettre en valeur sans prendre trop le dessus», explique celle à laquelle l'éminente galerie Xippas a fait confiance pour repenser son second espace d'exposition à la rue des Bains. En 2015, la Ville de Genève charge la Genevoise de concevoir son stand pour la Cité des Métiers, à Palexpo, en collaboration avec Nicolas Perrottet. Le duo fabrique une salle de cinéma miniature, avec grand écran, enseigne au néon et banquettes rouges: «On a pensé qu'il s'agissait d'une thématique attirante pour les jeunes.»
Juliette Roduit se consacre aussi à la rénovation d'appartements, et s'est lancée, depuis deux ans, dans la création de mobilier. Des pièces limpides et ludiques, tel ce pouf en peau de mouton immaculée, baptisé «Douglas», au creux duquel on peut glisser quelques livres ou cette table «Barquette» en corian et plexiglas, dont la forme rappelle immanquablement les petits biscuits homonymes. Les Genevois continueront à bénéficier du talent de la jeune designer, puisque à son copieux agenda, cette année, figure, entre autres, la rénovation d'un bistrot de la place.
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Hommage à Mandela dans un parc
Arts visuels

«Hating only harms the hater». DR
Réaliser un monument public alors qu'on est encore étudiant est chose fort rare. C'est pourtant la performance dont s'est fait l'auteur Léonard de Muralt, aujourd'hui âgé de 27 ans. Son imposante œuvre sculpturale dédiée à la mémoire de Nelson Mandela s'élève, depuis septembre 2015, dans le parc Rigot, au cœur du quartier des Nations.
En 2014, le Canton de Genève mandate la HEAD pour organiser un concours en vue de la création d'un mémorial en hommage au Prix Nobel de la paix sud-africain. Intitulée «Hating only harms the hater» (ndlr: la haine ne blesse que celui qui hait), la proposition de Léonard de Muralt convainc un jury composé de personnalités politiques, de représentants de la Genève internationale et d'artistes.
Il n'est point question ici d'un grandiloquent portrait en bronze, mais d'un projet tout en épure. Au sol, recouvert de graviers blancs, un carré de 4 mètres sur 4 – soit la taille de la geôle dans laquelle le pourfendeur de l'apartheid a passé 27 ans de sa vie – sert de socle à douze gigantesques mâts en inox chromé qui se dressent comme autant de barreaux vers le ciel. «Je suis parti du principe de la cellule, explique le jeune artiste, titulaire depuis juin dernier d'un master. Mais je l'ai ouverte vers le ciel, pour figurer le rayonnement et l'évasion.» Une illusion de perspective donne l'impression au spectateur, lorsqu'il se place au centre du dispositif et qu'il lève le regard, que les hampes longues d'une douzaine de mètres forment un cercle dans les nuages, alors qu'elles sont plantées en carré: «L'idée était de symboliser la transformation intellectuelle et spirituelle de Mandela en prison.»
Car au départ, Léonard se trouve devant un défi de taille: comment raconter un homme d'une telle envergure sans tomber dans l'emphase? «Je ne me sentais pas la légitimité de parler de Nelson Mandela, une icône, certes, mais qu'on ne connaît finalement pas vraiment.» Il se lance à la recherche de témoignages et approche Jacques Moreillon, ancien délégué au CICR qui visita plusieurs fois Madiba en détention. «Son récit poignant a été le déclencheur du projet, explique le jeune créateur. C'est également de lui que je tiens le titre du monument, une phrase que Mandela lui aurait dite lors d'une de ses visites.»
Malgré cette entrée remarquée sur le terrain de l'art public, Léonard de Muralt, qui prépare une exposition chez Art Bärtschi & Cie pour mai et enregistre un deuxième album avec son groupe ChâteauGhetto, conserve un réalisme modeste. «Rien n'est jamais garanti dans le métier d'artiste: peu de gens se souviennent du nom de celui qui a imaginé la chaise cassée de la place des Nations…»
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Une étudiante rhabille le staff du MEG
Mode

Si vous avez récemment visité le Musée d'ethnographie de Genève (MEG), vous avez peut-être noté l'élégance de la mise du personnel. Cette touche de chic, c'est à Cindy Falconnet qu'on la doit. Durant son cursus à la HEAD, la jeune styliste, 25 ans au compteur et aujourd'hui titulaire d'un bachelor en section Mode, remporte en effet un concours interne lui permettant d'élaborer le prototype de l'uniforme du staff du musée. «Le MEG avait mandaté l'école pour ce travail, explique-t-elle. Toute la classe a dû imaginer une tenue.»
La créatrice trouve son inspiration dans l'architecture novatrice du tout récent bâtiment de l'institution, muni d'une ample toiture en béton présentant un motif en losanges. «J'ai repris ce quadrillage en surpiqûre bleu clair sur un gilet gris, pour rendre les employés du musée immédiatement identifiables. Cette pièce de vêtement m'est apparue comme une évidence, car elle est unisexe.» Cindy donne les lignes du styling devant s'accorder avec cette petite veste aux airs contemporains et sobres: pantalon foncé, chemise bleu ciel et pull marine. La HEAD a pris le relais pour la production des pièces, réalisées en cool wool, que les employés du MEG en contact avec les visiteurs ont inaugurées le 19 mai 2016, lors du vernissage de l'exposition consacrée aux Indiens d'Amazonie. Et l'habit fait leur bonheur, au dire de Mauricio Estrada Munoz. «Nous souhaitions quelque chose de pérenne, à la fois informel et distingué, et qui soit à l'image du lieu exceptionnel dans lequel nous évoluons», souligne le responsable de l'Unité publics du musée.
Il faut dire que les personnes concernées, soit les agents de salle et d'accueil, ont été impliquées dans le processus de création de l'uniforme et ont eu l'opportunité de se prononcer sur les différentes propositions des étudiants. «D'ailleurs, les rencontres avec le staff m'ont été bien utiles, reconnaît Cindy Falconnet. Ceux qui travaillent dans les espaces d'exposition se plaignaient davantage du froid que les autres, par exemple.» Séduits, les gens œuvrant dans l'atelier auront aussi droit à une version simplifiée du costume.
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La caméra qui brille sur la Croisette
Cinéma

L'affiche du premier long-métrage de Basil Da Cunha. DR
Elle l'a cueilli dans l'enfance pour ne plus le lâcher. La passion du cinéma fait partie de la vie de Basil Da Cunha depuis toujours: «Mon père s'était acheté une caméra à Noël quand j'avais 10 ans. Il ne l'a jamais revue!» Le Lausannois, né en 1985, bricole ses premiers films en famille avant l'adolescence, puis autoproduit quelques courts-métrages avant d'entamer des études de sciences politiques. «On m'avait refusé à L'ECAL (Ecole cantonale d'art de Lausanne), confesse-t-il. Alors comme j'adore la politique et l'anthropologie, j'ai été glaner deux trois choses à l'Uni.»
Basil ne termine pas son cursus et entre à la HEAD pour se former au cinéma. Il y fait des rencontres déterminantes, avec les réalisateurs Pedro Costa et Miguel Gomes par exemple, dans les ateliers desquels il s'imprègne «de valeurs et d'un langage cinématographiques essentiels». Son talent lui vaut une reconnaissance fulgurante. En première année, le jeune homme réalise A côté, nommé pour le Prix du cinéma suisse en 2010 et récompensé, la même année, par le Prix du meilleur film portugais au festival de Vila do Conde. Il tombe amoureux et part s'établir au Portugal, d'où il est originaire. «J'habite depuis huit ou neuf ans dans le bidonville de Reboleira, à Lisbonne, qui m'a servi de cadre pour tous mes scénarios.» Basil da Cunha y tourne deux courts-métrages, Nuvem – le poisson lune, et Les vivants pleurent aussi – qui lui valent une sélection, respectivement en 2011 puis en 2012, à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Son second opus décroche la mention spéciale du jury du Prix illy. Cette distinction encourage le jeune auteur vaudois à se lancer dans le format long. Pari gagné: en 2013, Après la nuit, narrant la vie de Sombra, un dealer qui reprend les chemins du crime à peine sorti de prison, l'expédie une troisième fois sur la Croisette, en autant d'années.
L'univers de Basil Da Cunha est tout imprégné, selon ses propres mots, d'un «réalisme magique». Il tourne avec des comédiens non professionnels, qui ne sont autres que ses voisins et amis créoles de Reboleira. «En fait, jusqu'à maintenant, je raconte toujours un peu la même histoire, dans le même lieu, sourit-il. Il y a tellement à dire sur les gens que l'on ne voit pas ou qu'on ne regarde pas en bien. J'aime montrer l'invisible.»
Le presque trentenaire, qui a intégré, il y a deux ans, l'équipe pédagogique du département cinéma de la HEAD, s'apprête à tourner, durant l'été, un deuxième long-métrage. Dans lequel il travaillera, encore une fois, la pâte humaine de son bidonville de prédilection. I.L.
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