Art contemporainAnalix Forever se fait l’écho d’une guerre déjà oubliée
La galerie de Barbara Polla accueille quatre artistes aux horizons disparates dont les travaux évoquent avec pudeur et pertinence les facettes du conflit en Syrie.

Pour vous accueillir, dans la salle principale de la galerie Analix Forever, voici un buste en béton gisant par terre, le visage balafré et cabossé par les coups, l’œil et la pommette gauche complètement rongés. En s’approchant de l’objet en taille réelle, on finit par deviner à qui appartiennent ces traits effilés et cette moustache coupée court. Bachar el-Assad, président syrien par qui une guerre à la fois civile et quasi-mondiale a pris forme dans son pays, est là, déboulonné et renversé. Pas besoins de périphrases ni de longues introductions, donc, pour que, en franchissant le seuil de l’espace fondé et dirigé par Barbara Polla, on plonge dans un conflit proche-oriental déclenché voilà dix ans et qui semble déjà avoir déserté nos mémoires et le champ médiatique.
À Chêne-Bourg, on en retrouve pourtant toute l’acuité, sous le prisme d’une exposition réunissant jusqu’au 25 juillet quatre artistes aux approches et aux techniques certes disparates mais aux regards cohérents. Dans le titre de cette proposition collective – «La pièce manquante» – on trouve déjà les éléments qui illustrent par une touche simple et directe la stridence qui accompagne le régime de Bachar. Sous cette bannière est regroupée en effet une série d’œuvres de Guillaume Chamahian, qui a détourné les photos idylliques de la famille présidentielle publiées par des magazines people. Chacune a été recomposée sous forme de puzzle où la pièce du visage du président sanguinaire fait défaut.
Le rapport «César» par allusions
C’est par ce même artiste français que le projet composite présenté par la galerie a été lancé et a pris lentement forme. «Les premières propositions, il me les a adressées il y a sept ans déjà, se souvient Barbara Polla. Très vite, alors qu’il travaillait sur le conflit syrien, nous avons compris que la problématique nécessitait un traitement multiple, avec l’intervention de plusieurs artistes.» Guillaume Chamahian garde une place centrale, avec la présence d’un autre volet de sa production, dédiée celle-ci au rapport «César». Un dossier qui a compromis en partie la perception du président syrien dans le monde, et par lequel des dizaines de milliers de photos exfiltrées en Occident ont permis de dévoiler les atrocités commises par l’armée et les services sur les civils. Ces images insoutenables sont ici évoquées par allusion, avec pudeur: on ne voit que les étiquettes qui accompagnaient chaque cadavre, ou des images par satellite des lieux où les prisonniers étaient torturés, affamés et exécutés, ou enfin des photos des objets utilisés pour collecter et enregistrer les photos.

Ailleurs, le curateur de l’exposition Paul Ardenne a convoqué et mis en scène d’autres travaux. Ceux de Julien Serve, qui interrogent la façon dont la guerre syrienne est entrée dans notre quotidien au travers des médias. De longues feuilles alignant les dépêches d’agence décorent les murs, entrecoupées par des images retravaillées par ordinateur qui illustrent un paysage quasi-minéral, dévasté par les bombardements, où la présence d’êtres humains semble quasi incongrue.
Une patrie introuvable
Deux autres invités complètent l’exposition. La Syrienne Randa Maddah, qui a grandi sur le plateau du Golan, porte un regard émouvant sur sa patrie en ruine, sur l’impossibilité de la rejoindre, elle qui vit désormais en exil en France après que ses aînés ont subi les répressions du père de Bachar, Hafez el-Assad. Dans une autre pièce, enfin, Frank Smith plonge dans le discours et les mots du conflit. Deux vidéos illustrent ainsi l’appareil de propagande, lui aussi strident, concocté par le régime, tandis que, pas loin des écrans, une table accueille les vingt-deux rapports produits entre mai 2011 et décembre 2019 par la Commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
«Avec cette exposition, nous concrétisons une ambition d’Analix Forever, qui consiste à donner à réfléchir aux visiteurs»
«D’une certaine manière, «La pièce manquante» relève davantage d’une proposition de centre d’art contemporain que du projet qu’on associerait à une galerie, conclut Barbara Polla. Avec cette exposition, nous concrétisons au fond une des ambitions d’Analix Forever, qui consiste à donner à réfléchir aux visiteurs.»

«La pièce manquante», galerie Analix Forever, rue du Gothard 10, Chêne-Bourg, du mercredi au vendredi, jusqu’au 25 juillet. «www.analixforever.com»
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