Notre histoireAlhambra: la belle rescapée a son livre
Un ouvrage collectif dirigé par Catherine Courtiau fouille dans le passé de la salle centenaire.

Catherine Courtiau, c’est Madame Cinéma de Genève. Tout au moins en ce qui concerne l’histoire et la sauvegarde des salles. En 1995 déjà, elle signait dans la défunte «Revue du Vieux-Genève» un article très documenté sur «Les salles de cinéma objets du patrimoine genevois». «L’abandon, la désaffection ou la démolition des plus prestigieuses salles de spectacle se poursuivent, hélas!», se désole alors l’historienne de l’art et de l’architecture indépendante.
Pourtant cette même année 1995, le 12 mars, les Genevois ont voté à 74% des suffrages exprimés en faveur de la conservation de l’Alhambra. «Le cinéma-théâtre l’Alhambra vient d’être sauvé de sa démolition, écrit-elle, le cinéma Plaza est en sursis, le Manhattan sera enfin restauré après sa fermeture de plus de sept ans; quand au Rialto, sa condamnation à mort lui a valu d’être remplacé par un complexe de multisalles.» Catherine Courtiau cite aussi des lieux disparus depuis plus longtemps: l’Appolo-Théâtre, le Théâtre de la Cour Saint-Pierre, la Salle de la Réformation, les cinémas du Molard, l’Ecran ou le Star.
Un quart de siècle plus tard, la spécialiste dirige la publication aux Editions La Baconnière d’un livre souple de 139 pages appelé sobrement «Alhambra». Préfacé par le conseiller administratif Sami Kanaan, cet ouvrage rassemble des textes de Catherine Courtiau (histoire du bâtiment), Isabelle Brunier (le combat pour sa sauvegarde), Jean-Daniel Pasquettaz (le béton de l’Alhambra) , l’artiste plasticienne Carmen Perrin (son concept de décoration), le journaliste Roderic Mounir (les concerts), Sandro Rossetti et Jean-Alexis Toubhantz, pour le Comité de l’Association des usagers de l’Alhambra (AdudA). Il arrive peu après le centième anniversaire de la salle inaugurée en 1920.
L’histoire de l’Alhambra s’inscrit dans celle d’un quartier en complète mutation pendant les deux premières décennies du XXe siècle. Une transformation jamais achevée, comme en témoignent les espaces vides qui environnent encore aujourd’hui le bâtiment. Un parking rue de la Pélisserie, exigu et très mal placé, et une parcelle à l’arrière du théâtre, qui s’étend jusqu’au bas de la rue du Perron. Elle a accueilli longtemps des places de stationnement. L’annexe contemporaine de la salle de spectacles, décorée par Carmen Perrin, a pu y trouver place pendant la dernière rénovation de 2012 à 2015.

Il faut se représenter que la rue de la Rôtisserie, anciennement rue Traversière, était très étroite, bordée de hautes maisons sans lumière, que la crainte des maladies, particulièrement la tuberculose, condamnait à la démolition. Celle-ci accomplie, il restait à reconstruire. Entre la rue de la Pélisserie et la place des Trois-Perdrix, seuls l’Alhambra et le bloc voisin furent rebâtis. Catherine Courtiau nous apprend que le régisseur Albert de Roulet et les architectes Frédéric de Morsier et Charles Weibel furent les promoteurs de cette modernisation du quartier.
Albert de Roulet était en même temps le secrétaire de la Société des Cinémas-Théâtre SA fondée par Lucien Lévy dit Lansac. Cette société s’appelait avant 1919 la SA Omnia, ce qui explique pourquoi Omnia est gravé au-dessus des fenêtres du premier étage. Ce nom n’étant plus celui de la société exploitante, Omnia disparut au cours des travaux de construction sous l’inscription Alhambra. Une brasserie de l’avenue du Mail avait porté ce nom jusqu’en 1911. Il évoquait bien sûr la splendeur de la cité arabe al-Hamra, le «château rouge» de Grenade.
Le bâtiment et la salle dessinés par l’architecte Paul Perrin sont inaugurés le 8 janvier 1920. La décoration intérieure d’origine, dont il ne reste que le plafond, est décrite et documentée dans le texte historique de Catherine Courtiau. Elle a évolué avec le temps, le plafond lui-même accueillant à la fin des années 20 ses caractéristiques moucharabiehs sur les anciens puits de lumière masqués par des coffrages en bois.
Lors de la rénovation commencée en 2012, des traces de décors peints sont retrouvées et photographiées. Les plus anciennes sont dans les tons beige et bleu, qui était la couleur du rideau lors de l’inauguration. Plus tard le rouge, l’or, le rose et le noir font leur apparition dans des formes de style clairement Art déco, lors d’une restauration confiée à un ancien élève genevois de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, Julien Flegenheimer.
Si les peintures ont disparu, le bâtiment demeure. Il doit certainement sa survie à la volonté des ses créateurs d’ouvrir à cet endroit une salle de cinéma, de théâtre et de concert. Une triple vocation qui l’a rendue indispensable aux Genevois.
«Alhambra», sous la direction de Catherine Courtiau, Editions La Baconnière, 139 pages

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