Tournée en SuisseAlexandre Kantorow électrise les mélomanes
Courtisé depuis sa victoire au Concours Tchaïkovski, le pianiste se produit avec le violoniste Daniel Lozakovitch à Tannay. Coup de fil avant sa venue en Suisse.

Jadis, devant un talent indiscutable, on s’inclinait, humblement. Alexandre Kantorow n’exige pas cela. Au contraire: après ses concerts, les auditeurs se lèvent, spontanément et sans réserve, pour saluer un bonheur qu’on sent partagé, et parce que son jeu nous transporte et nous élève.
Lisible et grisant, gracile et puissant, précis et vaporeux, imperturbable et à fleur de peau, percutant et jamais brutal, le pianiste français enthousiasme à chacune de ses interprétations. C’est dire s’il est attendu!
Après un passage très applaudi en juillet à Verbier en remplacement du récital solo d’Arcadi Volodos – un de ses modèles absolus – Alexandre Kantorow aligne cette fin de semaine deux autres facettes complémentaires de son répertoire: la musique de chambre romantique aux Variations Musicales de Tannay, où il se produira samedi avec le violoniste Daniel Lozakovitch, un jour seulement après avoir défendu le terrifiant «2e concerto» de Prokofiev à Gstaad, avec l’Orchestre du Mariinsky et son chef Valéry Guerguiev.
Un Français à Moscou
La silhouette fluette du pianiste aux grands yeux verts et à la mèche tendrement rebelle ne laisse pas transpercer le réservoir d’énergie et d’explosivité que son jeu pianistique pouvait déployer.
En juin 2019 lors du très sélectif Concours Tchaïkovski de Moscou, Alexandre Kantorow a subjugué tout le monde, public, jury et même Valéry Guerguiev qui l’accompagnait dans le «2e Concerto» de Tchaïkovski. Le pianiste alors âgé de 22 ans devenait ainsi le premier Français à remporter ce concours qui sacre aussitôt un nouveau Tsar du piano.
Mais ce jeune homme heureux d’être reconnu et apprécié ne donne aucun signe de grosse tête, d’arrogance ou d’ostentation.
Au téléphone, joint juste avant l’embarquement de son avion pour la Suisse, Alexandre Kantorow parle d’abord des autres avant de parler de lui. Il a hâte de débuter à Tannay un nouveau duo avec Daniel Lozakovitch, son cadet de trois ans.
«Je l’ai croisé par hasard l’an dernier lors d’un festival en Géorgie. J’ai une admiration pour lui, pour sa vision de la musique, son respect des œuvres. Il a une force, une volonté incroyables et un son proche des grands violonistes du passé! On a déchiffré quelques pages ensemble et j’ai immédiatement senti une confiance mutuelle. Depuis, nous n’avons pas pu nous revoir, jusqu’à enfin trouver cette première date à Tannay.» Ensemble, ils ont choisi la quintessence du romantisme: Schumann, Brahms et Franck.
Alexandre évoque aussi volontiers son père, le violoniste et chef d’orchestre Jean-Jacques Kantorow (ndlr: on se souvient de son passage généreux comme chef invité permanent de l’OCL du temps de Christian Zacharias). Celui-ci ne l’a jamais forcé à se lancer professionnellement dans la musique, mais l’a soutenu sans faille quand le moment est venu.
«Il m’a laissé grandir à mon rythme, en me protégeant aussi.» Dans la famille Kantorow, Alexandre est le petit troisième. Avec ses deux parents violonistes, il aurait pu se laisser tenter par les cordes: «J’ai joué quelques jours du violon vers 3-4 ans, mais ce n’était vraiment pas mon instrument. Alors que le piano que nous avions à la maison me semblait beaucoup plus naturel. Il a répondu au plaisir de traduire les notes directement.»
À tel point que l’instrument utilisé pour déchiffrer un maximum de pièces n’a représenté d’abord qu’un passe-temps pour un garçon qui se voyait davantage embrasser un métier scientifique, dans les mathématiques ou l’astrophysique.
«Je ne suis pas très pro-concours, mais celui-ci m’attirait tout en m’apparaissant inaccessible.»
Le déclic est venu au lycée, dans une classe réservée à des musiciens prometteurs. «Dans cette bulle où nous avions tous la musique en commun, j’ai pu me plonger véritablement dans le monde de la musique et m’y mettre sérieusement.»
La suite s’enchaîne en s’accélérant: Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSM) chez Frank Braley, puis la rencontre décisive avec Rena Shereshevskaya, la pédagogue russe installée en France qui venait de faire gagner la 4e place du Concours Tchaïkovski à Lucas Debargue.
«Elle m’a demandé «Que veux-tu de moi?» et j’ai répondu: «Le Tchaïkovski!» Je ne suis pas très pro-concours, mais celui-ci m’attirait tout en m’apparaissant inaccessible. Avec elle, j’avais la sensation que ce serait possible. Elle a trouvé dans son enseignement un équilibre entre des aspects très concrets et un côté mystique qui m’a ouvert l’inspiration.»
Aujourd’hui, Alexandre Kantorow se sent éminemment privilégié dans sa génération, lui qui a eu la chance de se faire un nom avant la pandémie. «J’espère que les activités vont progressivement se remettre en place. C’est très dur pour les jeunes qui sortent du Conservatoire. Je me sens la responsabilité de les aider, de les parrainer.»
Gstaad, tente du festival, ve 20 août (19 h 30), www.gstaadmenuhinfestival.ch
Tannay, château, sa 21 août (20 h). www.musicales-tannay.ch
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.