«Alerté, j'avais mis en garde le professeur Tariq Ramadan»
L'ancien directeur du Collège de Saussure avait confronté l'enseignant aux accusations, au début des années 90.

Les jours passent et les souvenirs de plus de vingt ans remontent à la surface, dans la douleur. Aux accusations d'abus, sous différentes formes, portées contre Tariq Ramadan par quatre de ses anciennes élèves genevoises, s'est ajouté le témoignage d'un garçon proche de l'une d'elles, affirmant avoir alerté la direction du Collège de Saussure. Après avoir confirmé ces faits la semaine passée dans nos colonnes, le directeur de l'époque, Jean-Jacques Forney, désormais pointé du doigt, s'est décidé à tout dire: il affirme avoir mis en garde Tariq Ramadan. À la lumière des révélations actuelles, il se sent trahi par l'homme.
«Depuis plusieurs jours, on m'accuse de n'avoir rien fait. C'est inexact. Il m'a fallu un peu de temps pour reconstituer les faits. Je pense donc que c'est le moment de tout dire», glisse en préambule Jean-Jacques Forney, avec émotion.
Au début des années 90, un jeune homme découvre que Tariq Ramadan a entretenu des relations sexuelles avec deux camarades, dont l'une d'elles, âgée de 18 ans, étudie toujours dans l'établissement. Il dénonce ces actes interdits à une doyenne, laquelle alerte le directeur, qui n'ouvre pas de procédure. Pourtant, il n'est pas resté les bras croisés, précise aujourd'hui Jean-Jacques Forney, âgé de 75 ans, les yeux rougis: «J'ai convoqué Tariq Ramadan et je l'ai confronté à ces accusations.»
À l'époque, les deux fonctionnaires se côtoient souvent puisque Tariq Ramadan exerce la responsabilité de doyen. «Au cours de cet entretien de mise au point, l'intéressé a nié formellement les faits. Je l'ai alors solennellement enjoint de s'abstenir désormais de toute rencontre seul à seul avec ses élèves. Je l'ai rendu attentif aux risques et aux sanctions qu'il encourait si de nouvelles dénonciations devaient me parvenir ou si une plainte était déposée.»
«Autre attitude préférable»
Une trace écrite de cet incident existe sûrement, mais Jean-Jacques Forney signale que les dossiers des enseignants ne sont pas conservés éternellement. Par ailleurs, il ne peut ni confirmer ni infirmer avoir reçu plus tard des recommandations de vigilance de la cheffe de l'Instruction publique, Martine Brunschwig Graf, entrée en fonction en 1993. Toujours est-il que des années après le recadrage, une autre élève a entretenu des relations sexuelles avec ce même professeur. Fascinée, elle était sous son contrôle, a-t-elle confié dans nos colonnes. Mais aucun indice factuel n'est parvenu aux oreilles du directeur, jusqu'au départ de Tariq Ramadan en 2004.
Pourquoi le directeur s'est-il contenté de la parole du professeur? «J'avais besoin d'un témoignage direct de l'élève pour aller plus loin, mais elle n'avait pas dénoncé les faits. Je ne l'ai pas convoquée, car j'estimais que je n'avais pas à violer sa sphère privée. On peut estimer aujourd'hui qu'il aurait fallu faire plus. J'ai fait ce que j'ai jugé possible, compte tenu des éléments dont je disposais et espérant que mon avertissement solennel serait entendu.»
Comment explique-t-il, avec le recul, sa retenue? Il n'y a pas eu de favoritisme à ses yeux. Tariq Ramadan n'était pas un ami pour lui, mais il lui faisait confiance. Le brillant professeur de français et de philosophie, porteur de mille projets pour les élèves et le collège, capable d'organiser des voyages humanitaires et des conférences avec des personnalités comme Albert Jacquard, impressionnait. Jean-Jacques Forney a-t-il banalisé les faits? «D'autres cas de relations sexuelles entre élèves et professeurs ont abouti à une procédure. Je ne crois pas que l'on banalisait les choses à cette époque, mais on faisait davantage confiance aux professeurs et les directions d'école étaient plus autonomes pour régler ce genre de problèmes.»
Interprétations fâcheuses
Si l'ancien directeur s'exprime, c'est aussi pour s'adresser «aux femmes qui ont dénoncé publiquement les agissements» de Tariq Ramadan. «Je suis profondément touché, bouleversé par l'exposé des souffrances qu'elles ont subies et par le courage de leur démarche. Mon espoir est que la libération de leur parole contribue à la nécessaire prise de conscience de la gravité de tels abus.»
Jean-Jacques Forney avait accordé sa confiance à l'enseignant, qu'il n'a pas revu depuis treize ans, mais doit constater que l'homme l'a «trahi». Aujourd'hui, le fait que l'islamologue le mentionne en première page de son dernier ouvrage, coécrit avec Edgar Morin, l'expose à des interprétations fâcheuses. «Et dire qu'il me remercie de lui avoir permis de grandir, selon les termes de la dédicace…»
Contactés, Mes Yaël Hayat et Marc Bonnant, les deux avocats genevois de Tariq Ramadan, n'ont pas répondu à nos sollicitations.
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