Mort d’une divaAdieu Tina Turner, reine du rock et de la soul
L’immense chanteuse vient de s’éteindre à l’âge de 83 ans. Retour sur un parcours digne d’un roman.

Décidément la Faucheuse fait une vilaine fixette sur les grandes chanteuses de soul. Après Aretha Franklin en 2018 et Ronnie Spector l’an passé, la voilà qui nous enlève Tina Turner. L’immense star de la soul et du rock vient de s’éteindre à l’âge de 83 ans, après une carrière mirobolante et une vie digne d’un roman.
Née en 1939 à Nutbush, bourgade du Tennessee, dans une famille modeste, Anna Mae Bullock grandit dans la crainte de Dieu et d’un papa qui a la main leste. Elle chante à l’église. Et plutôt bien. Sa vie bascule quand, à l’âge de 17 ans, elle croise la route d’un musicien déjà célèbre, Ike Turner, que d’aucuns créditent comme l’inventeur du rock.
Voix de braise
Ike, qui connaît la chanson, repère la voix de braise de la demoiselle et l’embauche presto comme choriste. La recrue grimpe vite les échelons. En 1960, le duo signe son premier hit, «A Fool in Love». Entre-temps, Ike a fait de la naïve Anna Mae sa créature, en changeant son prénom en Tina, en référence à «Sheena Reine de la jungle», et son nom en Turner. Il l’a épousée aussi, à la sauvette, au Mexique. La noce s’est achevée dans un bordel. Romantique.
Ike est un musicien brillant, intuitif et curieux. Mais aussi un sale type. Il se défonce, picole, trompe a gogo et tabasse sa jeune épouse. Les sixties de Ike & Tina Turner sont pleines de gloire, de paillettes et de tubes. Mais aussi d’aigreur et d’ecchymoses.
Descente aux enfers
À la scène, le couple déroule l’un des shows les plus flamboyants de l’époque. Épaulée par ses Ikettes, choristes aussi fougueuses que sexy, Tina brûle les planches. Son gosier abrasif, sa gestuelle torride et ses robes brèves font fondre les foules. Surtout le groupe réussit un crossover de rêve et de sueur entre le groove de la soul et l’électricité du rock. Les sillons gravés alors demeurent parmi les plus galvanisants du répertoire populaire américain.
À la ville, en revanche, c’est le cauchemar. Les coups, les scènes, les humiliations. L’enfer. Le 4 juillet 1976, après un concert à Dallas et une ultime raclée, Tina Turner se sauve. Avec 36 cents en poche, un œil au beurre noir et une carte de station-service. Pendant six mois, elle se cache. Le divorce est obtenu dans la douleur deux ans plus tard. Sans un sou, esseulée, elle est au fond du trou.
Repartir de zéro
Mais Tina est une lionne. Elle se lance corps et âme dans une carrière solo, en repartant à zéro. Ses deux premiers disques en solitaire passent inaperçus. Elle travaille, tourne sans relâche. En 1983, sa version de «Let’s Stay Together» d’Al Green devient un tube en béton. Dès lors, Tina se retrouve en orbite, en réalisant, à 45 ans, le plus incroyable come-back de l’histoire de la musique. La suite est dans toutes les mémoires. Tina enchaîne les hits planétaires et les tournées superlatives. Elle rugit au cinéma dans un Mad Max. Flamboie sur les unes des magazines et sur les plateaux télé.
Puis gentiment, la dame se range. Chez nous, en Suisse. En 2013, Tina Turner devient citoyenne helvète. Elle épouse son fiancé de longue date, le producteur allemand Erwin Bach. Et coule des jours paisibles au bord du lac de Zurich. Elle est bouddhiste, heureuse et sans rancune. Après un AVC et un cancer, la santé de la reine de la soul n’était plus au beau fixe depuis des années. Elle s’est éteinte hier «paisiblement, des suites d’une longue maladie», dans sa maison de Küsnacht. RIP, la tigresse.
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