À l'eau, à l'eau! Les Genevois barbotent
Les historiens fourmillent d'anecdotes savoureuses sur les étuves, les bains, l'hydrothérapie et l'eau en bouteille de Jacob Schweppe.

Entre Genève et l'eau, c'est une histoire d'amour qui ne date pas d'hier. Ceux qui plongent du pont de la Coulouvrenière chaque été n'ont rien inventé. Cela fait belle lurette que les Genevois pataugent dans le lac, barbotent dans le Rhône et soignent leurs maux au fil de l'Arve. Le festival Histoire et Cité, qui a tenu sa 4e édition du 27 au 31 mars devant quelque 10 000 spectateurs, un record, a donc misé avec H2O sur une formule gagnante, et ouvert grand les vannes: tables rondes, conférences, films et animations se sont succédé dans toute la ville, mais aussi à Lausanne et à Sion.
Parmi les sujets proposés, intéressons-nous aux bains genevois comme lieu non seulement d'hygiène, mais aussi de convivialité. Et étendons la réflexion aux étuves. Il en existait à Genève, dans le quartier de Saint-Gervais – comme en atteste aujourd'hui encore la rue des Étuves – et dans celui de la Corraterie, avant de migrer à Longemalle.
Aux étuves pour boire et manger
«Il faut bien se représenter qu'au XVe et au XVIe siècles, on allait aux étuves bien plus pour se rencontrer, boire, manger et discuter que pour se laver», résume l'historienne Sonia Vernhes-Rappaz lors d'une table ronde aux archives d'État. «On s'y rendait en couple, en famille ou entre amis. Les étuves possédaient quelques chambres où les voyageurs qui n'avaient pas prévu de logement passaient la nuit à bon marché. Il pouvait arriver évidemment que s'y produisent des scènes de luxure et de débauche.»
Trois pasteurs aux étuves
Et la spécialiste du XVIe siècle de citer une anecdote: le 31 décembre 1545 comparaît devant le Consistoire un maître d'étuves nommé François Biolay. A-t-il failli à sa mission de surveillance des bonnes mœurs, s'interroge le tribunal, en laissant séjourner dans son établissement deux jeunes cousines en compagnie de trois pasteurs? Le texte précise que tous étaient nus et ont dormi ensemble dans l'une des chambres à disposition dans cet établissement de Saint-Gervais.
Avouant devant Calvin leur participation aux événements, les deux cousines, déjà connues du Consistoire pour leurs mœurs légères, écopent de remontrances. Deux des pasteurs devront répondre de leur conduite devant le consistoire de leurs juridictions respectives; le troisième comparaîtra devant le Conseil. Quant au maître d'étuves, il ne mérite pas de blâme, estiment ses juges, même s'il aurait dû veiller à séparer hommes et femmes dans son établissement.
Deux femmes maîtres d'étuves
Se penchant sur les bains de vapeur genevois, dont il ne reste aucune trace archéologique, Sonia Vernhes-Rappaz apprend que jusqu'au XVe siècle, les étuvistes exploitent leurs commerces pour de riches propriétaires. Mais dès 1540, ils en deviennent les maîtres; et les transmettent à leurs épouses et à leurs enfants. C'est ainsi qu'en 1554, ce sont deux femmes qui, veuves, gèrent les deux établissements en activité à Genève.
«Nous savons aussi que la clientèle masculine était celle qui rapportait le plus, car elle mangeait et buvait davantage», relève l'historienne, qui souligne un fait intéressant: «Le contrôle des mœurs aux étuves n'est pas une spécificité genevoise imposée par la Réforme. Il procède d'une moralisation plus générale de la société, qu'on observe dès la fin du XVe siècle.» Les bains de vapeur semblent avoir déserté Genève, probablement au XVIIIe siècle, en raison de la crainte qu'inspirent alors aux gens l'eau et les bains.
«Les bains cachent le bain»
La convivialité liée à l'eau sera à nouveau vive plus tard, au XIXe siècle, dans les établissements d'hydrothérapie comme celui de Champel-les-Bains, au bord de l'Arve. David Ripoll, historien de l'art, lit dans l'architecture le souci de cadrer le problème des corps, le plus souvent nus, occupés à barboter sur prescription médicale: «On assigne les bains à résidence: on dessine des enclos pour éviter les noyades et les architectes construisent les bâtiments de manière à dissimuler les baigneurs à la vue des passants. Les bains cachent le bain, en somme, et la convivialité s'épanouit entre soi.»
«La machine de Genève»
Quant à Philip Rieder, historien de la médecine, il rappelle au public du festival Histoire et Cité que c'est ici que Jacob Schweppe invente, en 1783, la «machine de Genève», capable de dissoudre dans l'eau du dioxyde de carbone qui la met sous pression. Le Schweppes est né!
Et les Genevois qui savourent leur spritz en flottant dans un spa avec vue sur le Léman apprécieront la délicate ironie des perpétuels retours de l'Histoire sur elle-même.
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