C’est l’histoire de super-riches, qui jouissent de la plus belle vue de Londres, et qui ne veulent plus que le commun du mortel lorgne dans leurs appartements. Une histoire banale de voisins somme toute, comme vous pouvez la vivre avec le vôtre, qui se plaint de vos regards intrusifs dans sa salle de bains. Sauf que là, pardonnez l’expression triviale, la salle de bains «vaut une blinde» et le voisin voyeur est la célèbre Tate Modern Gallery.
«Une poignée de seigneurs qui veulent priver les manants d’une vue exceptionnelle.»
Récapitulons. Les habitants de la tour en question, la Neo Bankside, ont attaqué le musée pour avoir construit un balcon qui offre un panorama unique sur la ville, mais aussi sur leurs luxueux appartements, vendus à l’époque jusqu’à 19 millions de livres. J’avoue, comme les 500’000 visiteurs qui défilent chaque année sur ledit balcon, avoir sans-gêne et avec un certain plaisir, reluqué dans les somptueux salons d’en face. Comme lorsqu’on tourne avec délectation les pages de «Gala» chez son coiffeur pour s’immiscer dans les intérieurs des plus fortunés.

En 2016, les propriétaires des appartements accusent donc les visiteurs de la Tate rien de moins que d’espionnage, en abusant de ce balcon où, selon leurs avocats, il y aurait, aux heures de pointe, autant de monde que devant le tableau de la Joconde. Le tribunal de grande instance leur donne tort et leur conseille d’acheter des rideaux. Logique. Et comme on est dans un musée, la lutte des classes n’est pas loin. Une guérilla artistique s’engage contre une poignée de seigneurs qui veulent priver les manants d’une vue exceptionnelle. L’artiste Max Siedentopf installe temporairement des jumelles sur le balcon de la Tate. Et remet de l’huile sur le feu.
Les riches portent l’affaire à la Cour suprême, qui, énorme surprise, vient de leur donner raison. La Tate devra donc masquer une partie de son balcon avec des panneaux pour assurer à ses voisins leur bulle de sérénité. Et certains s’interrogent déjà sur le précédent créé par les juges. Comme l’écrit le «Guardian», qui empêchera les résidents du Nine Elms et de sa célèbre piscine suspendue entre deux tours – merveille architecturale au demeurant – de demander la fermeture de l’ambassade américaine voisine, au motif qu’ils ne veulent plus être vus lorsqu’ils pataugent dans leur bocal en verre?
Revoir l’espace public
Poussée à l’absurde, la décision suggère que tout promoteur qui construit une tour de verre à côté d’un espace public, comme une école ou un parc, pourrait rétroactivement demander sa fermeture. Et on pourrait, pourquoi pas, exiger de même pour un pub, un restaurant ou tout autre local à nuisance, alors qu’on s’est installé à ses abords en toute connaissance de cause. Dans le cas de la Tate, les résidents connaissaient les plans d’agrandissement du musée et du fameux balcon avant d’acheter leur appartement.
De quoi donner des idées, en Suisse, aux opposants des cloches des vaches et des églises…
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La rédaction – À la Tate Modern, on ne mate plus les riches voisins
Les résidants d’une luxueuse tour en verre ont gagné en justice contre le célèbre musée d’art londonien, qui devra cacher à ses visiteurs la vue sur les appartements d’en face.