A la rescousse des commerces historiques
Depuis cinq ans, trois arcades de la Ville renaissent grâce à une gestion associative.

Dans le bar, les murs ont retrouvé leur orange d'origine. Une couleur vive en guise de clin d'œil, de message aux vieux habitués. Pas de concept novateur, pas de bar lounge, mais un respect de l'identité historique des lieux. Depuis bientôt deux ans, l'association des «Amis de la Bretelle» a repris le bistrot populaire éponyme de la rue des Etuves, avec la ferme intention de faire perdurer son héritage. «Le projet est né avec un post-it A reprendre collé à même la porte de l'établissement en septembre 2014, se souvient Claire Libois, membre fondateur. Clients à l'époque, on s'était dit avec quelques amis que ce serait dommage de voir l'endroit se transformer.»
Le reprendre en association? Une question de sensibilité, bien sûr. Sans oublier que la gestion partagée a quelque chose de rassurant. «Surtout quand on ne connaît rien au métier», sourit Claire. Sur la base d'un collectif de personnalités et de compétences – parmi les membres, on compte des médecins, des avocats, des travailleurs sociaux, des psychologues, une exploitante de bar et des étudiants en tout genre – l'organisation finit par rapidement se mettre en place et monte en l'espace de deux mois un dossier recevable par la Gérance immobilière municipale (GIM), qui possède l'arcade.
Les précurseurs du bord du lac
Malgré le côté expérimental, le service de la Ville n'est pas insensible au projet (lire ci-dessous). Il faut dire que trois ans auparavant, en 2011, une autre association avait tracé la voie: «Les Amis de la Perle du lac». D'anciens employés, formés en collectif, s'étaient alors mobilisés pour sauver leur emploi, menacé par une fermeture temporaire et une rénovation annoncée. «Dans notre cas, notre situation personnelle a été le moteur de la création de l'association, raconte le trésorier, Gérard Lamarche. Mais la défense d'un lieu emblématique pour le canton et pour la Genève internationale faisait aussi partie de la démarche.» Consciente du caractère transitoire du projet, la Ville fait un effort sur le loyer et donne son aval. Le premier hybride commerce-association est né à Genève. Un monstre sur le papier, qu'il faut s'efforcer de mettre en pratique.

Nouveau concept oblige, les premiers mois sont dédiés aux tâtonnements et à la fébrilité. La structure inquiète et des employés renoncent à l'aventure de peur de ne pas percevoir leur salaire. A l'extérieur, des gens du métier refusent l'invitation. Quant aux fournisseurs, méfiants, ils demandent à être payés comptant. Cinq ans plus tard, l'association – qui compte huit membres – est à la tête d'une équipe d'une douzaine d'employés. «C'est une petite victoire, s'enthousiasme le président, Bekim Haziri. Et nous la devons en partie à notre statut d'association. Dans une telle structure, chacun est appelé à se responsabiliser. Les frontières entre les différents métiers deviennent poreuses et tous les employés s'activent ensemble à maintenir le bateau à flot.»
Quelque 70 serveurs au comptoir
De retour à la Bretelle, le discours est peu ou prou le même. A la différence que dans le cas du petit bar, la participation des membres actifs est présentée comme la pierre angulaire du modèle. «A l'heure actuelle, l'association compte pas moins de 70 serveurs qui se relaient derrière le comptoir», affirme Marina Fernandes, la présidente. Une activité non rémunérée, mais qui semble procurer une grande satisfaction aux principaux intéressés, qui l'exercent quelques fois par mois seulement. «Tout se fait via le bouche à oreille, poursuit Marina. Des clients, des amis, des amis d'amis entendent parler de notre fonctionnement et demandent à intégrer le tournus.» Le succès est tel qu'en l'espace d'un peu plus d'un an, les membres fondateurs sont passés de deux soirées dans l'établissement par semaine à une toutes les deux semaines. Quel intérêt pour tous les serveurs en herbe? S'approprier le bar l'espace d'une soirée, découvrir un secteur et, pourquoi pas, se forger une bénéfique expérience pour l'avenir.
Le genre de motivation qu'on retrouve une centaine de mètres plus loin. Là, c'est en journée que des amis viennent épauler celle qui a repris Cumulus, la librairie spécialisée en bande dessinée. Troisième et dernière arcade appartenant à la Ville et sauvée par une association. C'était à la fin de l'année 2015. La figure de proue du projet «Cumulus Forever», Leticia Ramos, met en avant le lien social créé par l'organisation dans le quartier. «Christine, la défunte fondatrice des lieux, rêvait d'une coopérative qui aurait repris son magasin. La forme associative n'est pas très éloignée et me permet d'accueillir retraités des environs et jeunes qui veulent découvrir le métier.»

Une activité artificielle?
Peut-elle vivre de son activité? «Tout juste», concède Leticia Ramos. Pourrait-elle tourner sans le soutien des amis du quartier? «Probablement pas», lâche-t-elle en toute franchise. Du côté des Amis de la Breletelle, l'analyse est la même. Si bien que la question se pose: la gestion associative maintient-elle en vie des commerces qui ne sont plus au goût du jour?
Pour Leticia Ramos, ce type d'organisation répond surtout à une demande née du règlement PUS (Plan d'utilisation des sols), qui stipule qu'en centre-ville, un commerce ne peut changer d'activité au moment de sa reprise. «Quel privé à la recherche d'un investissement intéressant voudrait racheter une librairie à l'heure actuelle?» interroge la présidente de Cumulus Forever.
Marina ne se pose, elle, même pas la question. La Bretelle appartient au quartier de la rue des Etuves et doit perdurer. «Dans ces conditions, la structure associative a un avantage certain: elle survit à ses fondateurs.» Et son amie Claire de lancer un regard bienveillant en direction du comptoir: «Nous aurons réussi notre coup quand, dans dix ans, je ne connaîtrai même plus le serveur derrière le bar.»
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