On se souvient (ou pas) que la Suisse s’était juré de sortir du nucléaire d’ici à 2034 après l’accident de Fukushima. Il fallait faire quelque chose, n’est-ce pas? «C’est une journée historique», avait déclaré Mme Leuthard le 25 mai 2011. On aurait dû fermer Beznau I en 2019, Beznau II et Mühleberg en 2022 et terminer par Leibstadt.
C’est curieux comme cette journée historique a mal vieilli. Les milliards bloqués dans le fonds de désaffection dorment encore. Le seul progrès accompli en ce sens a été de voir avec les exploitants si l’on ne pourrait pas quand même faire bouillir les marmites quelques années de plus. Oh! Pardon, c’était en sens contraire, mais l’intention générale reste valable. Du moins, on ne l’a pas abandonnée, tout juste tacitement rééchelonnée. Les sept Sages s’étaient bien donné dix ans de marge. Un siècle n’eût pas été de trop s’ils avaient anticipé que la Suisse comme ses voisins se détournerait vertueusement des hydrocarbures russes en 2022. Car il faut, de nouveau, faire quelque chose! «Cachez-moi ce baril que je ne saurais voir!» s’écrie l’Eurotartuffe tout en rachetant aux Indiens et au prix fort le même pétrole sibérien cette fois étiqueté «sans vodka», voire affublé d’un label vert 1). Car, on le sait, se faire livrer le pétrole de Sibérie par tanker via Bombay, c’est bien plus écolo que les pipelines. C’est bien pourquoi nous, Européens, avons évité de sanctionner le transport par mer des hydrocarbures russes. Notre vertu est à ce prix!
Le ministre indien des Affaires étrangères, interpellé sur son immoral commerce, a répondu qu’il faisait simplement des affaires et qu’il ne mélangerait pas cela avec la politique. Ajoutant qu’«il serait temps pour l’Europe d’abandonner l’attitude voulant que «mes problèmes sont ceux du monde, mais les problèmes du monde ne sont pas les miens».
Pendant ce temps, Rosneft et ses dealers hindous se gavent à se péter la panse, à moins qu’ils ne s’étranglent de rire avant. Eux ont bien compris comment marche le monde multipolaire. Enfin, bipolaire: le pôle qui veut sauver le climat, et celui qui lui vend son essence.
Ainsi sommes-nous devenus, en Europe, les champions du monde de la conscience environnementale. Nous avons créé les JO du seppuku climatique et nous y raflons toutes les médailles faute d’autres concurrents. Nous hypertaxons le mazout mais non le kérosène (surtout pas celui des hyperriches). Nous traquons les feux de cheminée et bientôt les barbecues. Nous respirons avec componction. Nous jurons qu’aucun moteur à combustion interne ne sortira de nos usines – s’il en reste – dès 2035.
Et l’humanité contemple, étonnée. Ces Allemands qui fabriquaient les meilleurs moteurs au monde, les voilà qui bazardent leur savoir-faire exclusif pour trottiner à pied derrière la Chine! Les e-Chinois sont très fiers du silence onctueux de leurs mégalopoles. Quand vous leur demandez d’où ils tirent tout ce jus, ils vous répondent par un sourire figé. Le pétrole ou le gaz (avec vodka) n’est jamais loin. Il s’arrête discrètement en périphérie des villes pour se rhabiller en électricité. Quand le charbon et l’atome lui laissent la place.
Quant aux Russes, ils ont sur leur flanc ouest un demi-milliard de vertueux sectaires – qui paient quand même leur gaz rouble sur ongle pour le moment – et 3 milliards de clients heureux sur leur flanc est. Les sanctions qu’on leur a flanquées pour une de ces guerres impériales que seuls les Occidentaux étaient jusqu’ici autorisés à entreprendre n’auront qu’un seul effet, enfin deux: suicider ceux qui les prennent tout en engraissant les sanctionnés.
Entre les autocrates d’Orient et les ineptocrates d’Occident, le fossé se creuse, inexorablement.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Le Cercle du «Matin Dimanche» – 2035 ou les nouvelles infortunes de la vertu