
Parmi les objets genevois de la votation du 18 juin prochain, il y a l’initiative populaire 181, «Pour la création d’emplois sociaux et écologiques et la réduction de la durée du travail». Ce texte est défendu ici par Paolo Gilardi, membre du comité de la Communauté genevoise d’action syndicale-Syndicat des services publics, et combattu par le député PLR Cyril Aellen.
Cette initiative est un début de réponse
Le titre de l’initiative l’indique: ce sont 1000 emplois d’utilité sociale et environnementale que les collectivités publiques sont appelées à créer si le taux de chômage cantonal dépasse 5%, 800 si le taux est de 4%, 600 pour 3%… De plus, elle encourage la réduction à 32 heures de la durée de la semaine de travail sans baisse de salaire, pour permettre le retour en emploi de qui en est exclu. À Genève, dans le secteur des soins, de l’assistance sociale ou dans le développement de l’industrie solaire, les besoins de personnel sont criants alors que, en même temps, les personnes sans travail ou avec des emplois précaires se comptent par dizaines de milliers. L’initiative «1000 emplois» est un début de réponse à ce paradoxe. Elle est un choix volontariste, celui de répondre au chômage et créer des emplois d’utilité générale, sociale et environnementale.
Dans les années 50 et 60 du siècle passé, pour faire face aux besoins de développement de la société, les pouvoirs publics avaient promu une politique active avec l’objectif affiché du «plein-emploi». C’est à la création de nouveaux métiers, de nouvelles formations qu’ils s’étaient attelés, avec le Cycle d’orientation, les soins infirmiers, l’orientation professionnelle, l’Institut d’études sociales, avec à la clé des dizaines de milliers d’emplois qui faisaient la fierté de leurs titulaires.
Depuis, l’objectif du plein emploi a été abandonné, les politiques volontaristes se sont inclinées devant les impératifs de rendement: le chômage, le sous-emploi et la précarité frappent. À des dizaines de milliers personnes, jeunes et femmes en particulier, on ne propose souvent que des emplois passagers, dévalorisants. Confrontées au provisoire, à l’aléatoire, à l’insécurité, elles vivent dans l’impossibilité de faire des projets, souvent dans la perte de l’estime de soi avec des conséquences sur le vivre-ensemble. Pourtant, chômage, sous-emploi ne sont pas une fatalité, tout comme la crise climatique d’ailleurs. On peut et on doit les combattre. Dès lors, c’est avec le volontarisme, l’activisme d’antan qu’il faut vite renouer. N’y a-t-il pas nécessité de former du personnel et de créer des places de travail dans la santé, dans les transports publics, le solaire? Avec l’allongement de l’espérance de vie, la prise en charge des personnes se fait, soit par l’entrée en EMS aux frais des familles soit par la prise en charge par les proches, souvent, par des femmes. N’a-t-on pas besoin de personnel à l’IMAD, dans les soins aux proches ?
En vingt-cinq ans, la population a passé de 400’000 à 500’000 personnes. N’a-t-on pas besoin de plus de personnel pour les crèches, l’aide à domicile, l’enseignement, l’urbanisme, la végétalisation de notre habitat? Il faut des emplois: pour la santé et l’éducation tout comme pour la rénovation thermique des bâtiments, le développement des énergies renouvelables, des transports publics, de la gestion des déchets, d’une agriculture de proximité et de l’approvisionnement alimentaire. Et passer à la semaine de quatre jours sans baisse des salaires ce n’est pas que partager le travail: c’est aussi une meilleure qualité de vie et de santé pour celles et ceux qui en ont un, qui plus est – parce qu’il est utile – valorisant pour qui l’accomplit.
L’initiative «1000 emplois» c’est un petit pas en ce sens. Voter oui, c’est justement ne pas se résigner.
Qui financera ce gouffre à milliards?
Exploitant abusivement le problème, réel et actuel, du réchauffement climatique, le texte de l’initiative 181 a pour ambition de faire créer par l’État 1000 emplois par année, sans aucune limite de temps. Le nombre d’emplois peut être réduit ou augmenté en proportion si le taux de chômage est inférieur ou supérieur à 5%.
Cette initiative repose exclusivement sur une logique quantitative de demande (le nombre de chômeurs) sans aucunement aborder les questions pertinentes et qualitatives de besoins, cela notamment en matière de lutte contre le réchauffement climatique, d’une part, et de chômage, d’autre part.
Cette initiative impose à l’État de créer des emplois exclusivement dans les collectivités publiques cantonale et municipales, les établissements subventionnés et les institutions publiques et privées, à but non lucratif, poursuivant des buts d’intérêt public.
Or, si personne ne conteste que la lutte contre le réchauffement climatique impose de multiples travaux et démarches dans de courts délais, chacun sait également qu’il appartient essentiellement au secteur privé, par exemple dans le domaine de la rénovation et de la construction, de les mettre en œuvre. Ce n’est pas la multiplication d’emplois improductifs dans le secteur public qui résoudra le problème du réchauffement climatique.
Au contraire, la somme de 100 millions supplémentaires devant être allouée chaque année ferait exploser les dépenses publiques sans réelle plus-value écologique. Ce gouffre à milliards devrait toutefois être financé par le contribuable et en particulier par les entreprises actives dans le développement durable. Cette initiative est dangereuse. Elle contribuerait à l’instauration d’un cercle vicieux: elle augmenterait de facto les charges fiscales des entreprises, réduisant ainsi leurs capacités à embaucher et à investir, notamment dans le domaine de l’écologique.
Cette initiative au titre et au contenu trompeurs nie le véritable problème de l’économie genevoise: il réside non pas dans le nombre de places de travail disponibles, mais dans l’inadéquation de ces places avec les compétences présentes sur le marché de l’emploi. S’il y a un effort à fournir pour améliorer la situation des personnes en recherche d’emploi à Genève, celui-ci doit être tourné vers la formation et la formation continue pour donner à toutes et tous des qualifications recherchées par l’économie. Il s’agit de répondre aux besoins du marché et des entreprises et d’offrir de réelles perspectives de carrière à l’heure où une pénurie de main-d’œuvre fragilise de nombreux secteurs d’activité et en particulier celui de la construction.
C’est en matière de formation, notamment des jeunes, que l’État a un rôle essentiel à jouer. Les entreprises ne demandent qu’à pouvoir engager ou former de la main-d’œuvre locale. Les associations professionnelles, en particulier dans le domaine du bâtiment, sont des partenaires précieux en matière de formation. Elles doivent être mieux soutenues et valorisées par le Canton.
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Face-à-face – 1000 emplois par an